Fin 1981 Yves fait le bilan: « Les winchs Barbarossa sont arrivés. Le weekend précédent une visite à l’usine de Jean Guyon à Joigny a permis de mettre au point les balcons avant et arrière et les chandeliers. Les essais des réservoirs d’eau en pression sont satisfaisants, les soudures sont étanches. Les aménagements intérieurs ont bien progressé : la timonerie terminée avec la table à carte et tous les tiroirs, le carré côté repas est terminé, mais pas la table ni la cuisine ni le côté salon ; l’isolation des congélateurs et du frigo est faite ; Jeanine avance bien peintures et les vernis. J’ai découpé les trappes des couchettes du poste avant et réalisé les cloisons sous les couchettes de la cabine arrière ».
En janvier 1982, nous étions au Salon Nautique à Paris, d’une part pour commencer à faire connaître le Saint-Graal pour sa mise en location prévue pour l’année suivante dans les agences qui louaient des bateaux de charter comme Mondo-Voiles, Europ-Yachting, Odysée, entres autres ; d’autre part pour passer commandes en négociant des prix pour le radar FURUMO, le satnav WALKER, le pilote automatique SHARP, les poulies HYE, 90 m de chaîne de 14, 3 WC LAVAC, un réchaud à gaz à trois feux, 4 lavabos inox, toutes les lampes du bord et les rampes néon chez ELITE MARINE…..et le raton laveur ?
Pendant ce mois de Janvier, « Il y eu trois menuisiers à travailler à bord. Albert Rajau est venu pour dessiner les accoudoirs du salon. Nous, nous n’avons pas travaillé à bord depuis Noël à cause des fêtes et des intempéries qui nous ont fait reculer devant le déplacement » Effectivement une période de grand froids perturba nos habitudes, avec phénomènes de surfusion qui provoquaient la glaciation immédiate des routes et des branches englobées dans des tubes de glace qui les alourdissaient au point de les casser.
Nos prévisions, assez incertaines, de planning de travaux et de financement nous avaient laissé espérer un départ fin 1982. Mais nous nous trompions !
En février 1982 Yves précise « Le RARITAN et la pompe à eau sont à bord. Il y a encore trois menuisiers à bord : côté salon et cuisine terminés, les portes sont définies et commencées ; Jeanine est passée hier après-midi pour contrôler.
L’armoire électrique est en cours d’installation : j’ai posé les bornes de raccordement avec l’aide de Dominique Vachier ; Albert Rajau est venu une nouvelle fois pour surveiller les travaux du salon et nous conseiller ; nous avons fait un nouveau tour au moteur sur le canal tout le monde a pris la barre !
Un compte prévisionnel des finitions où Jeanine est jusqu’au cou est un peu déprimant, 1 an encore semble nécessaire ! Il faudrait un financement final spécial ! »
Yves investissait dans les achats au fur et à mesure de ses rentrées d’honoraires d’expertise qui heureusement se succédaient. La société Ferem qui l’employait théoriquement à plein temps, lui accordait la moitié de son temps pour le laisser exercer comme expert, mais il revenche lui demandait, en compensation, la moitié de ses honoraires. Malgré tout cet arrangement était avantageux pour lui sur le plan financier et nous permettait de continuer l’équipement du bateau .
De mon côté j’étais en congé de « longue maladie » suite à la déprime, avec uniquement des indemnités de la Sécurité Sociale, mais allant nettement mieux et ayant retrouvé mon autonomie, Yves me poussait à bouger. Donc, de temps en temps, j’allais seule au chantier pendant la semaine pour avancer les travaux que j’avais pris en charge. Mais, à part le travail que je fournissais, ce ne sont pas mes finances qui pouvaient faire avancer la construction.
6 avril 1982 « Nous avons passé 8 jours à bord avec Jeanine pour travailler. Actuellement le moteur est réglé depuis le 15 mars, suite à la visite d’Alexandre Deleule du cabinet d’architecte le Graal. Reste à poser l’étai avant avec l’enrouleur et un petit maroquin de diamètre 7 mm en supplément : on a trop de difficulté à tenir le mât arrière. Tous les winchs BARBAROSSA sont posés, les deux gros enrouleurs GOÏOT sont posés sur les mâts. Sont à poser les rails d’écoute et poulies de renvoi et coinceurs. La chaîne de 14 est à bord sur le pont : l’écubier Goïot livré et posé est trop petit ! »
Encore un gag : On a une chaîne et un trou trop petit pour quelle puisse passer à travers pour sortir, du puits où elle est stockée sous le pont !
« Le guindeau Goït est posé et marche (bien lentement !). La colonne de barre à roue et la commande morse sont installées depuis longtemps. Les capots arrière ont été reposés par le chantier (joints et fermetures non terminés) » Je ne sais plus pourquoi ils avaient été mal posés.
« La voilure Loize livrée depuis longtemps jamais envoyée. Cordages tous livrés depuis plusieurs mois, ainsi que les câbles acier, seules les drisses acier sont passées »
Le moment était venu de mettre les voiles en place. Nous sommes allés les chercher dans notre cabane où les sacs de voiles étaient empilés depuis plusieurs mois sur un plancher bien isolé. Mais en les déplaçant, nous découvrons qu’un nid douillet a été établi par des rats, entre deux sacs, dans une profusion de fibres de tissus déchiquetés provenant des sacs qui portent d’énormes trous ! Coup au cœur : et les voiles ???
Fort heureusement la toile épaisse des voiles avait paru moins douillette aux rats et ils ne les n’avaient pas entamées ; elles s’en tirèrent avec quelques traces d’urine vite blanchies. Ouf ! on avait risqué gros, vu le prix des voiles.
Georges Marzin, Christine et deux garçons de leur famille étaient venus nous rendre visite, ce fut l’occasion de placer la voilure et d’effectuer des réglages avec l’aide de ces jeunes voltigeurs que l’on peut voir en haut des mâts !
Enfin le voilier n’était plus nu ! Il avait sa garde-robe et commençait à ressembler à quelque chose ! Une salve de photos fut tirée.
Yves grimpa même en haut du mât du bateau d’Hervé Blanche pour pouvoir réaliser cette belle photo du Saint-Graal, sous un angle original.
À Pâques 1982, nous prenions le premier repas à bord avec deux de nos enfants et leurs compagnes. Nous avions définitivement intégré notre confortable cabine et nous disposions enfin d’un cabinet de toilette complet avec douche et eau chaude ; c’est dire qu’il y avait déjà l’eau sous pression et le chauffe-eau, mais non sans avoir pu échapper à un nouveau gag : le chauffe-eau avait brutalement inondé la salle de la machine à l’eau bouillante à onze heures du soir, après une journée déjà éprouvante.
Quand on a la poisse, on y est tellement accoutumé qu’on ne s’étonne même plus ! C’est dans l’ordre des choses ! On a vu cela poussé à l’extrême dans un film avec Pierre Richard, on n’en était pas loin ! En juin, Guillain, le menuisier qui nous avait été attribué par le chantier pour finir les intérieurs, était tombé malade de chaleur en travaillant à bord par 35° de température. Il avait déjà dû interrompre son travail après être resté le dos coincé à notre bord.
Mais le bouquet c’est que le Chantier de l’Anitra déposait son bilan ! Et nous, nous avions payé d’avance un certain nombre de travaux. Alain Douay a été correct et s’est arrangé pour que le travail de Guillain écluse les sommes dejà reçues et je ne crois pas que nous ayons perdu de l’argent. Mais dorénavant nous engagions les ouvriers directement pour ce qui restait à faire.
Le mois d’Août fut encore une période de travaux forcés pour Yves : il installait tout l’accastillage de pont, les rails d’écoute, les freins de bôme, l’enrouleur du Yankee, les balcons de pont, les échelons du tableau arrière. Il mît aussi en place la table du cockpit, le compas de route, etc. etc.
Il faut expliquer qu’en vue de navigations à équipage réduit, nous avions multiplié les sécurités et les aides à la manipulation des voiles. En premier, comme sur Kernevel où nous avions apprécié ce système, des supports de bômes avaient été installés, cela permettait de poser et saisir la bôme dès que nous commencions à affaler les voiles évitant ainsi des balancements dangereux qui risquent toujours d’envoyer un équipier à la mer ; c’est ce qui s’est passé pour Tabarly je crois.
Le bateau étant très large, pour éviter des chutes quand on a les mains prises à manipuler les enrouleurs pour hisser ou affaler les voiles, nous avions prévu des balcons autour du mât avant (misaine) : deux balcons de forme presque demi-circulaires, à trois pieds bien fixés dans le pont, près du mât. Ils permettaient de s’y appuyer pendant ses manœuvres.
Les freins de bôme étaient constitués de cordages fixés au pont à bâbord et à tribord, en renvois multiples sur une poulie accrochée sous la bôme, l’ensemble empêchait le passage brutal de la bôme d’un bord à l’autre (ou empennage) si le vent passe d’un côté à l’autre de la voile par vent arrière. Ce passage, quand il est brutal, est très dangereux pour les navigateurs et pour les mâts du bateau qui peuvent se rompre à cette occasion.
Les échelons constituaient une échelle sur le tableau de bord arrière incliné. Le bateau se terminait par une jupe qui permettait facilement son accès par l’arrière, à partir d’une annexe comme un zodiac quand on était au mouillage. Les échelons permettaient ensuite de monter à bord facilement Pour accéder au bateau , quand nous étions à quai, nous avions une passerelle pliante en aluminium.


Pendant qu’Yves s’activait comme un forcené pour avancer ces travaux, j’assistais ma mère, 76 ans, qui était opérée de la hanche à l’Hôpital Nord à Marseille. Elle craignait beaucoup cette opération. J’étais heureuse de tenir ce rôle d’infirmière particulière auprès d’elle, au grand soulagement d’un personnel raréfié par les vacances. Cela lui évita plusieurs complications ! Ce fut aussi l’occasion de nous retrouver toutes deux, en longs moments privilégiés qui m’ont été doux à évoquer ensuite, car elle fut la première de trois de nos parents à disparaître dans les 5 ans qui ont suivi.
Vers la fin Août Yves note «Nous sommes presque prêts pour un essai en mer, mais un peu saturés (sic), partons la semaine prochaine pour 8 jours en Espagne »