La construction du Saint-Graal

L’inauguration du bateau

Le 5 Avril 1983  nous invitons les amis  proches et la famille à une inauguration du bateau.

Les Frères de la Côte à bord

Quelques jours plus tard, pour marquer l’inauguration du bateau, les Frères de la Côte  de l’île de France organisent  un boucan à bord et les captives sont invitées.

Le Saint-Graal hisse le pavillon noir,  le   » Jolly Rogers » des Frères de la Côte. Les Frères  se réunissent sur le pont  pour un cérémonial  d’intronisation d’un nouveau,  qui, à genou, fais serment  d’observer les règles de l’Octalogue  (règle portant sur  8 points) dont la dernière :

«L’amour de la mer doit être le culte de tes jours, fais lui des sacrifices et observe ses lois ! »

Les frères, (confrérie masculine), se veulent héritiers  et défenseurs des traditions de la marine à voile. Leur ambition : promouvoir entre eux et autour d’eux  l’entre-aide, la camaraderie, la solidarité l’hospitalité. Confrérie mondiale, créée au Chili en 1951, dont   les membres  proviennent de tous les horizons,  tant professionnels que sociaux.  Gens de mer  qu’aucune préférence politique, religieuse, nationale  ne saurait diviser,  ils sont organisés en France en plusieurs « flottes » régionales  dirigées chacune par un « Grand Frère », secondé par un « Scribe »  et un « Bosco »,  avec quelquefois des subdivisions locales appelées « Tables ».  Par exemple, pour la Flotte de  Méditerranée, il y avait les  Tables de Toulon-Provence, Sète-Languedoc, Marseille-Provence, Cannes-Côte d’Azur et Corse.

Il n’était pas question de se proposer comme Frère, c’étaient les Frères eux- mêmes qui  distinguaient les marins  qui leur paraissaient dignes d’entrer dans la confrérie.  Ils  se renseignaient dans la plus grande discrétion  sur les qualités des navigateurs  qu’ils envisageaient de coopter.

Dans l’univers de la plaisance, envahie par des chauffeurs et même carrément des chauffards, pour parler des bateaux à moteurs, ils se concevaient comme membres d’une croisade pour propager,  par leur exemple,  les anciennes vertus de la marine à voile  et des hommes qui en firent la grandeur.

Moi bien sûr, en tant que « captive »,  je n’assistais  pas aux réunions  sauf exceptionnellement, comme toutes autres épouses ou compagnes ; nous n’avions que le droit de les servir au cours de  « boucans » ou « branle-bas »  qui se tenaient alternativement  chez les uns ou les autres; ce que nous faisons de bonne grâce pour ces grands enfants.

Certains,  connaissant  mon esprit d’indépendance,  rigolèrent  franchement quand Yves m’offrit avec malice  un t-shirt mentionnant  « Je suis la captive d‘un Frère de la côte ». Moi aussi cela m’amusa, et je l’ai porté volontiers.

Un jour cependant, un frère plus féministe que les autres, proposa que les épouses, puisqu’elles naviguaient avec leurs maris et tout autant qu’eux,  devraient être admises au sein de la confrérie.     Evidemment ce n’était pas prévu et cela fut repoussé.

Quelques épouses se constituèrent en « Louves de mer » pour contrebalancer cette exclusion. J’ai perdu le fil de cette histoire car nous sommes partis naviguer.  A part  l’accueil à bord  de Frères de la Côte de toutes nationalités,  rencontrés au cours de nos navigations (on les reconnaissait grâce à leur pavillon noir), et quelques autres qui vinrent en équipier  pour des traversées océaniques,  je n’eus plus l’occasion de suivre ces péripéties.

Personnellement  peu m’importait car,  à bord du Saint-Graal,  dans la réalité quotidienne  et sans adoubement,  j’étais vraiment devenue une «Louve de mer ».

En ce jour d’inauguration du Saint-Graal  les captives étaient invitées ; il fallut organiser un accueil et un repas pour 40 personnes !

Tous les coins du bateau étaient occupés, tous les participants avaient  trouvé  une place!

Une très belle vieille ancre à 4 branches  qu’Yves avait,  quelques années auparavant, transformée en lampadaire  pour notre maison fut tirée au sort entre les Frères de la Côte,  histoire de faire une animation ! Jeu d’autant plus drôle  que  le gagnant avait le devoir de l’emporter, et elle pesait environ 8o kilos ! Heureusement il y eut des bras pour l’aider à la descendre à terre !

Même sans cela, je crois que cette soirée de présentation d’un bateau de cette taille et réalisé dans ces conditions,  aurait marqué les Frères dont plusieurs sont ensuite venus naviguer  avec nous.

Le bateau était pratiquement fini,  du moins pour sa partie  hôtelière et nous avons fait faire des photos pour sa présentation en agence

Le cahier de la construction se termine sur cette  note, le  4 mai 1983

« Saint Graal a quitté définitivement  le chantier naval de l’Anitra  le lundi 25 Avril 1983 après plusieurs semaines de travaux forcés.

En route pour Cowes le pot de barbotage en inox a une soudure qui a lâché  et nous avons manqué l’asphyxie à l’intérieur 

Voir la suite sur le livre de bord » 

Là encore la sobriété d’yves est remarquable : effectivement, nous nous aidions  au moteur  pour rejoindre Cowes , Yves et moi endormis dans  la cabine arrière, nos  équipiers finissant leur quart nous ont réveillés ; heureusement, car les gaz d’échappement  se répendaient dans la cabine située juste au dessus de pot qui avait cédé !

Le saint graal  avait, déjà là, failli nous avoir !

L’homme orchestre

Quand on lit les épisodes de cette construction dont Yves a assuré l’entière coordination, mais aussi le choix des matériels, des accessoires  ainsi que leurs poses, on est effaré !

Quand on réalise qu’il a effectué toute l’installation électrique, tous les branchements et l’alimentation d’une bonne vingtaine de moteurs ou accessoires de navigation et une vingtaine de points d’éclairages intérieurs et la dizaine d’éclairages extérieurs parmi lesquels les feux de position, mais aussi les phares d’éclairage de pont sous les barres de flèches et la lampe clignotante de tête de mât,   On  est ahuri !

Quand on constate  qu’il a posé une dizaine de cadènes avec tout autant d’étais en acier, les drisses, tous les cordages et les taquets d’amarrage, les winches et leurs taquets de blocages, les enrouleurs,  le positionnement et les épissures de plusieurs centaines de mètres de cordages et d’écoutes  nécessaires aux 4 voiles, la pose de l’enrouleur de foc,  la fixation des balcons, chandeliers filières.  On est stupéfait !

Quand on considère qu’à l’intérieur, il a posé toute la plomberie,  en brasant lui-même les tubes de cuivre ; qu’il a installé,  pour les quatre salles d’eau  et la cuisine, dix tuyaux  de pompage de l’eau de mer  ou d’évacuation et  leurs vannes ; qu’il a, pour les réservoirs établi toutes les tuyauteries de remplissage mais aussi celles d’évacuation de l’air pour éviter leur explosions au remplissage, On est bluffé !

Et il faut aussi ajouter des installations complexes de mise en pression de l’eau froide ou chaude pour alimenter les  douches lavabos  et  cuisine, toutes les combinaisons compliquées pour la production d’électricité, sa répartition et son stockage,  toutes les connexions du moteur  et de ses commandes etc. etc.

Son habileté au travail était remarquable : il savait toujours  utiliser le bon outil,  mesurait ses gestes et maîtrisait sa force dans une telle mesure  que je ne me souviens  pas qu’il  se soit jamais  blessé les doigts !

Tant de techniques différentes  maîtrisées ! On ne peut qu’avoir de l’admiration sans bornes  pour les capacités, les compétences et la constance  d’Yves.

Devant le nombre et la difficulté des réalisations on comprend pourquoi certains de nos amis avaient prédit que nous n’ arriverions jamais au bout!

A l’époque,   je trouvais cela normal  car Yves avait toujours un excellent « bricoleur »  (mais peut on parler de bricolage à ce niveau ? ). Dans  notre maison de Sannois,  dans la cave,  il avait installé   un atelier  pour le bois, un atelier pour le fer, un atelier de mécanique, un poste de soudure, tourets,   déjà un outillage considérable ! Il réparait tout dans la maison : je lui donnais aussi bien des casseroles que d’autres ustensiles qu’il  remontait, restaurés, quelques minutes après.

Yves  disait que le scoutisme lui avait tout appris ; cela lui a sûrement appris beaucoup,  mais il avait aussi bénéficié de leçons de  mécanique de  l’un de ses employés, mécanicien de génie,  lorsqu’il   était directeur de l’usine Aciéroid.

Son métier, acquis  au cours des ans,  l’ avait mené au sommet hiérarchique  de la technique de la société Aciéroid, et lui avait  aussi apporté  une expérience polyvalente  qui lui avait valu d’être nommé expert auprès de la cour d’appel de Paris. Dans le  même temps, il rédigeait ce qu’il appelait « sa bible » technique sur  la mise en œuvre des matériaux métalliques de roofing, de bardage ou des matériaux d’étanchéité, qui a du servir encore  à une génération.  Tout cela prouve qu’il était un grand spécialiste dans sa profession.

Mais c’est  la construction navale du Kernével  qu’il avait réalisée avec Corentin, son père lui aussi ingénieur,   qui lui  avait sans aucun doute appris beaucoup et en particulier à réfléchir et à organiser son  travail avant de l’exécuter.  Il y avait  déjà acquis une remarquable expérience de la construction navale.

D’autant  plus qu’il entretenait  Kernével et naviguait avec son père  depuis une vingtaine  d’années  et pas pour de simples  petits tours de port en port. La Manche était leur sport favori, la Bretagne leur  terrain de jeu ordinaire avec Bréhat et ses alentours  comme exercice de style courant.  Et pour se conforter, ils avaient fait le tour de l’Irlande et un grand bout du tour de la grande Bretagne et étaient  aussi allés au Portugal.

Ils avaient eu  maintes fois l’occasion d’avoir à réparer leurs voiles, leur  gréement, leur moteur. En plus ils avaient acquis  une remarquable expérience de navigateurs.

Durant ces cinq années de construction je n’ai connu à Yves aucune période de découragement ou de doute, du moins ne me l’a-t-il jamais montré.  Je réalise seulement maintenant  la continuité, le moral d’acier, la volonté acharnée et la détermination qu’Yves avait d’arriver  au bout de la construction de ce bateau.

Et je pense aussi que quelque part, il était fier de  prouver à son père qu’il était capable de construire,  sans son assistance,  un grand bateau. Par ailleurs,  il s’était lancé à fond dans cette aventure et il était condamné à réussir ; il lui aurait été impossible de revenir en arrière.

Et la Captive ?

À lire le livre de la construction, il semblerait que mon rôle se soit borné à peindre, encore peindre, et toujours  peindre ; en réalité je sais  qu’Yves n’aurait pas entrepris ce projet, ni si bien abouti si je ne l’avais pas soutenu  de toutes mes forces.  La réussite de notre couple  l’avait sorti du marasme où l’avait laissé la rupture de son mariage précédent  et  lui avait restitué sa confiance en lui. (Ce sont ses amis qui le connaissaient bien qui me l’ont dit)

De même, à partir de mon entrée dans la famille, la décision d’alterner notre présence à bord du Kernevel avec celle des parents, alors que précédemment leurs navigations se faisaient ensemble, lui a permis de se conforter comme  skipper.

Bien qu’au départ  Yves ait  pris toutes  les décisions  pratiquement seul, quand nous avons commencé à travailler à bord, un jour, à mon grand étonnement,  il m’a dit : « Viens voir je voudrais ton avis ! »

Ce mec – car s’en était un – admettait enfin de partager.  C’était gagné !  Il me faisait enfin une place et il exprimait  qu’il avait besoin de moi.  Nous étions  sur la même voie enfin !  Par la suite nous avons fait face, ensemble, à des plusieurs situations difficiles.

De mon côté, pendant ces années de chantier  j’assurais l’intendance domestique et vérifiais les comptes des factures du chantier. Mon travail à bord était loin d’égaler celui d’Yves, bien sûr,  mais il a été tout de même essentiel car nous n’aurions jamais pu financer les centaines d’heures de travail consacrées aux revêtements internes.

Le pire c’étaient ces parois à revêtir de tissus de verre, à plastifier, et à poncer  pour détruire les derniers fils apparents ; c’était  atroce car  les tissus de verre, réduits en poussière, pénétraient  et démangeaient  sur toutes de parties de peau  même protégées.  Ensuite les gelcoats, les revêtements de parois, des peintures et vernis de l’intérieur de tout le bateau ont été de mon ressort.

Et s’il incombait à Yves de réaliser la coordination de tout ce qui était du ressort de la navigation, il m’incombait  tout l’équipement domestique et hôtelier y compris  tout l’approvisionnement pour la  restauration.

Les derniers mois, durant toute la semaine  je  m’activais à réaliser tous les rideaux pour les capots ou hublots,  les draps de forme spéciales pour couchettes. Je constituais aussi l’équipement hôtelier complet : vaisselle, batteries de cuisine   matériel et linge, couvertures. Enfin, avant de prendre la mer je réalisais  tout l’avitaillement du bateau (ex-économe de clinique) et la congélation des victuailles fraîches  prévues pour les 4 mois à venir. J’ai aussi enregistré une centaine de cassettes avec des musiques de toutes sortes et constitué une  bibliothèque de lecture, mais aussi de documents touristiques ou archéologiques sur les pays où nous devions naviguer, constitué une large pharmacie de base et d’urgence (ex-infirmière-anesthésiste),  Parallèlement  je me tenais en contact avec les agences de charter, j’établissais  un agenda des locations prévues et  le  planning des navigations pour que nos amis ou équipiers  puissent s’inscrire et préciser  leurs arrivées aux escales.  J’inventais des dépliants publicitaires à diffuser, je vendais tout ce  qui pouvait nous rester  qui désormais nous serait inutile…

Oui,  je crois que les  maîtres du  Saint-Graal ont été à la hauteur pour  la construction  et l’équipement du bateau.

Restait ensuite à naviguer et à recevoir des hôtes,  bref à devenir des professionnels de charter.

Pour savoir si nous avons réussi, il vous faudra aller découvrir  les autres rubriques.                                                A bientôt 

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