Le premier essai en Mer
Le début Octobre 1982 est marqué par la réception officielle du moteur Caterpillar par M. Sauvage, ingénieur de la marque. Le moteur réceptionné officiellement et tout étant conforme, nous pouvions effectuer la première sortie en mer.
Le 5 octobre Yves et moi seuls, quittons le chantier et attendons l’ouverture de l’écluse, sur la Somme, porte de la cage vers le large ! Nous sommes dans un bassin d’attente, un peu plus large que le Saint-Graal, peut-être une trentaine de mètres.
Yves me passe la barre et m’initie aux manœuvres de retournement du bateau dans ce mouchoir de poche, par alternances de marches avant /arrière, en utilisant l’hélice qui tire l’arrière du bateau d’un côté du fait de son sens de rotation. Yves me dit : » C’est comme si l’hélice roulait sur le fond » ; j’effectue aisément plusieurs rotations du bateau. J’apprends aaussi que pour accoster, il y a un côté privilégié pour faire cette manœuvre, celui qui permet à l’arrière de se rapprocher naturellement du quai.
Une fois l’écluse passée nous allons nous amarrer à Saint-Valéry où le lendemain, Alexandre Deleule notre architecte, Albert Rajau notre décorateur-navigateur et Hervé Blanche représentant le chantier, nous rejoignent. C’était en quelque sorte la réception officielle du bateau.

Vers 15 h, nos passagers embarqués, nous quittons Saint-Valery et suivons le chenal que nous laissons derrière nous vers 16h30, Enfin pour la première fois la quille du bateau est en contact avec l’eau du large .
Le temps n’est pas tellement propice. Yves qui avait noté les prévisions météo mentionne « vent force 6/7, mer agitée et grains » Pas les conditions idéales pour un tout premier essai en mer ! Mais il y a un bon équipage, pas question de renoncer !
Yves note « de 16 h à 22 heures , essais de voilure en mer, le vent avait molli puis est revenu à force 5 environ. Essais de Près, puis viré pour revenir Vent arrière sur Dieppe ; grains de pluie par moment. Vers 22h, par VHF le capitaine de Dieppe nous autorise à venir à quai à côté des remorqueurs, mais pas à couple d’eux. Rentrons au port, dans l’avant port, tourné un peu puis amarrés à couple avec un chalutier qui était déjà à quai fort roulis à quai »

J’adore la sobriété d’Yves ! Le roulis était si fort que l’on a fait sauter un chaumard et que l’on a endommagé le plat bord du pavois. Je suis furieuse que l’on ait des dommages à bord. Les défenses, déplacées en hauteur par les mouvements sont inopérantes ; nous établissons un pare-battage de fortune avec une échelle en bois du coqueron, et les quatre défenses, ainsi fixées. Nous restons sur le pont pour éviter le pire, tant cela bouge. Les gars du chalutier nous préviennent qu’ils vont partir dans la nuit. On dîne à minuit, À deux heures le chalutier s’en va, tout le monde à la manœuvre et nous prenons sa place à quai. La manœuvre est délicate mais réussie ; Cependant l’emplacement n’est pas plus confortable. La même agitation tendant à nous frotter au quai maintenant. Je suis incapable de dormir et finalement reste toute la nuit sur le pont à remettre les défenses en place car, en plus du clapot dû au vent, des ferrys manœuvrent régulièrement, ce qui cause de gros remous supplémentaires et il y a plus le ballet incessant des pêcheurs. Non ! Dieppe n’était pas accueillant pour un joli voilier tout neuf !
Yves note « Jeanine restée éveillée toute la nuit pour parer aux problèmes du quai » C’était la première des nuits d’inquiétude qui émailleront ma vie à bord !
Au matin, le temps et le ressac se sont calmés. Nous quittons Dieppe à 9 h pour retourner à Saint-Valery. Retour sans histoire à la voile par force 5 ; les hommes s’activent à différents essais et réglages. Moi je dors.
A la fin des quatre pages du livre de bord, consacrées à cette journée, où sont notés surtout les bulletins météo, les différents points effectués, et les liaisons par radio, Yves a précise sobrement : « 16h rentrés dans l’écluse de Saint-Valery qui était ouverte pour nous attendre. 16h30 amarrés au ponton du CNA. Essais et première sortie terminés. Etaient à bord Jeanine, Alexandre Deleule, Albert Rajau, Hervé Blanche, Yves ».
Mais un large et exubérant paraphe termine ces premières pages du livre de bord, exprimant clairement la jubilation du maître du Saint-Graal.
Les derniers mois
Du mois d’Octobre 1982 au mois d’Avril 1983, le cahier de bord de la construction ne comporte plus de notes : pas le temps ! Trop de travaux intensifs qui se bousculent.
A Noël 1982 mes parents viennent à bord. On peut voir l’état de lieux à peine quatre mois avant l’inauguration du bateau.
On peut constater que dans la cuisine les feux de cuisson et le four ne sont pas installés. Il y a des fils volants partout, les revêtements de sol, les matelas du carré ne sont pas en place. Il y a de la poussière partout, le froid pique : mes parents ont gardé leurs bonnets et leurs vêtements chauds !
En mars 1983 Yves note encore ;
« Les choses s’accélèrent: je pars de la Société en préretraite à 70% de mon salaire. Nous avons présenté le bateau au Salon Nautique en charter pour la première fois. Nous travaillons d’arrache-pied pour être prêts et pouvoir quitter le chantier vers le 15 Avril et l’Angleterre pour la Turquie le 15 Mai.
Nous avons déjà une semaine d’août louée par Robert A. (un ami)
Jeanine est à bord presque en permanence (après infarctus de son papa heureusement bien terminé)
J’ai commandé un zodiac et moteur 55 cv pour le ski nautique et un bib 6 places (bateau annexe pour les vas et viens à terre).
Je viens de commander l’installation du froid à Paumier à Fécamp
Caterpillar viendra à bord pour finitions le 16 mars ; j’ai commandé la B.L.U. à S.D. Marine . Le Sat-Nav révisé revient de chez Grimaud Marine » (Encore un appareil qui débloquait d’origine !) »
Vers le mois de Mars 1982 certains de nos futurs équipiers nous rendent visite, font connaissance entre eux pour les navigations à venir.



Une des installations essentielles pour notre future activité était l’équipement en congélateurs et frigo ; en effet, pour une cuisine de qualité, il fallait disposer de viandes et de produits français de qualité supérieure et introuvables dans nos périples ; Il ne n’aurait pas été à la hauteur du Saint-Graal d’offrir des produits locaux, sauf bien entendu ceux que nous repérerions pour avoir cette qualité que les clients étaient en droit d’attendre. Il a donc été prévu deux énormes congélateurs situés sous le plancher de la table à carte et s’ouvrant en avant de celle-ci, sous le plancher de la timonerie. Ils ont un volume d’un mètre cube environ. Leur coffrage ainsi que leur isolation avaient été établis par le chantier. On s’apercevra plus tard que l’isolation était de moindre qualité pour le congélo qui bordait la coque à tribord. Trois personnes extrêmement compétentes, de l’entreprise Paumier de Fécamp, accoutumées à installer les congélos des gros chalutiers vinrent réaliser l’installation technique, car seuls des professionnels du froid pouvaient nous assurer une température de – 35° nécessaire à la congélation. Pour eux c’était amusant de travailler sur la plus petite unité qu’ils aient jamais eu à équiper. Mais ils y mirent tout autant de sérieux et l’avenir nous montrera que ces congélos furent parmi les appareils qui nous donnèrent pratiquement jamais de panne.