Un O.V.N.I de mer

C’est nuit noire.

Mais la nuit n’est jamais complètement noire en mer,   il y a, dans les lointains, les feux des cargos éloignées de quelques milles, il y a les illuminations des paquebots enguirlandés, il y a la laitance des milliers d’étoiles, il y a les clins d’oeuils des phares, il y a les feux clignotants des avions, les halos des ports ou villes lointaines, les lampes aveuglantes des « lamparos», pêcheurs piégeant les poissons dans leurs violentes lumières …   et la lune et ses reflets !

Il est vraiment très rare que l’on soit dans le noir complet et que l’on n’ait pas ces lueurs de vie sur terre, sur mer ou dans le ciel.

Cette nuit le temps est calme, nous parcourons la Méditerranée en long, de l’île de Rhodes au nord de l’Espagne, de nouveau   rentrant d’une saison d’été en Turquie.

C’est un de ces calmes comme seule la Méditerranée en connait : la mer d’huile. Pas un souffle de vent, nous avançons au moteur : c’est le type de navigation que j’aime pour la nuit!

Je suis de quart, le pilote automatique travaille pour moi et je m’amuse à aller à l’avant du bateau où nos feux de position, vert et rouge, se reflètent dans l’eau.

Il n’y a pas que ces lueurs ; l’eau déplacée par la vitesse du bateau forme deux petites vaguelettes, « les moustaches », comme je les appelle. Le plancton agité exprime sa phosphorescence magique et l’eau bouillonnante  s’éclaire et devient luminescente tout le long du bateau, se prolongeant ensuite dans le sillage, lui aussi éclairé.

Et puis, de temps en temps en temps, des fusées phosphorescentes jaillissent entre deux eaux, en s’éloignant vivement du bateau : des poissons qui fuient ! Imaginez quand on traverse un banc de thons : c’est un feu d’artifice sous-marin.

Entre deux réjouissances de ce type, je contrôle notre route, j’entame des dialogues avec le Sat-nav qui m’appelle de sa petite sonnerie pour me prévenir qu’il a établi un point précis de notre position ; je lui réponds : « j’arrive ! » Puis je reporte le point sur la carte et note sur le livre de bord les coordonnées et l’heure ; si besoin je rectifie le réglage de notre pilote automatique pour coller au plus près de la route que nous avons prévue.

J’écoute les appels radio avec la V.H.F. Nous veillons toujours sur le canal 16 qui est la fréquence d’appels et d’urgence. Quelquefois j’échange quelques mots avec un bateau, au hasard des appels radios, comme une fois avec le pilote d’un bateau algérien assurant la liaison entre Marseille et Alger. Nous nous sommes mutuellement salués, en pleine nuit, après s’être reconnus comme natifs du même pays ! Hé oui ! Les nuits sont longues même à bord des gros bateaux !

J’examine l’écran du radar à différentes échelles, pour vérifier la position des bateaux aperçus et  leur route et si rien ne s’approche de nous qui puisse constituer un danger.

La routine quoi ! Nous sommes loin des côtes, il n’y pas de problème !.

Tout a coup j’aperçois sur l’écran du radar deux points lumineux très proches l’un de l’autre à un mille environ. Difficile d’évaluer la taille, mais des points quand même. Je prends les jumelles et examine dans la direction de ces deux points. Je ne vois rien, aucun feu de position signalant un bateau. La mer étant très calme, on peut voir des objets flottants que l’on ne peut voir avec des vagues ; par exemple, des flotteurs laissés par les pêcheurs et signalant leurs filets ou autre épave flottante, bidon plastique de dimensions variables ; il est possible qu’il s’agisse de ce type d’objets.

Tout à coup je m’aperçois qu’un des deux points se détache et vient vers nous. Je reprends les jumelles et scrute la mer ; toujours rien en vue. Je change l’échelle du radar, grossissant l’échelle à un demi-mille : c’est clair l’objet vient vers nous, le deuxième reste immobile.

Je suis vraiment intriquée et commence à m’inquiéter, l’objet fait route de collision avec nous.

La route de collision c’est la route d’un bateau que l’on voit constamment sous le même angle par rapport à notre bateau.  En effet,  s’il recule par rapport à l’angle sous lequel on le voit, c’est qu’il passera derrière nous, si au contraire, il dépasse l’angle sous lequel on le voit c’est qu’il va plus vite et passera devant nous.  Dans ces deux cas aucun danger ,  c’est mathématique !

Le vrai danger c’est quand l’angle est constant, on fait alors route de collision et il faut vite prendre une décision, d’autant plus rapide que les bateaux vont plus vite, il faut changer de route et faire la manœuvre clairement pour que l’autre bateau comprenne que l’on s’écarte de sa route.

Là,  je ne vois rien,  aucune signalisation,  je ne le vois qu’au radar et il vient sur nous.   Je n’y comprends rien.

Si c’est un bateau, je devrais le voir, même sans feux, ce qui est improbable – les bateaux doivent toujours avoir des feux de position – mais je devrais voir une masse noire plus dense que la nuit et je ne vois rien, même avec mes puissantes jumelles ; par ailleurs aucun bruit de moteur !

J’augmente l’échelle du radar : il n’y a pas de doute l’objet fonce sur nous ! En panique, je descend en catastrophe secouer Yves qui me rejoint lentement sur le pont.

Quand il arrive, on ne voit plus rien au radar.  Entre temps l’objet a disparu alors qu’il aurait du nous cogner !  Est-il passé sous notre coque ? Le deuxième point au loin,  n’a pas bougé.

Yves ensommeillé me dit : « Tu vois bien, il n’y a rien ».

Il fait un tour sur le pont et retourne placidement se coucher.  Moi, encore tremblante, je reprends mon quart,  seule.

Je regarde à nouveau le radar et qu’est ce que je vois ?   L’objet repart et rejoint le deuxième point ! Et ils se mettent à bouger ensemble dans une autre direction !

Croyez-moi, je n’ai jamais su ce que j’avais vu ! Un cétacé curieux peut-être venu examiner cette autre baleine que nous étions ? Une tortue curieuse ? Un sous marin ? En tous cas pas un bateau haut sur l’eau. Y avait-il à l’époque des bateaux-drones ? Le mystère est resté entier ! Et moi je cherche toujours une explication ! Si vous en avez une,  je l’attends.

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