Nous sommes mouillés à Mayero dans les Grenadines, dans les petites Antilles, en attendant l’arrivée des passagers de notre prochain charter, nous avons décidé de nous mettre dans un endroit plus sauvage que le mouillage de Clifton qui est près de l’aérodrome d’ Union Island.
Nous sommes dans une crique de cette île, très peu peuplée, à l’époque, et éloignée de la seule petite agglomération qui y existe.
Nous allons faire quelques travaux à bord.
Pour se détendre Yves part, en promenade à pied, explorer la côte. Il revient jubilant avec un magnifique « casque », en fait un superbe coquillage que des pêcheurs avaient laissé sur un rocher à se dessécher et perdre sa mauvaise odeur, avant de le proposer à quelque touriste d’un bateau de passage.
Yves n’y tenant plus et ne trouvant personne sur place l’a pris, sans avoir oublié de laisser un billet conséquent, fixé par un caillou, à l’endroit même où était le casque, pour payer son prélèvement.
Mais il est intrigué parce qu’il a aussi récolté quelques os humains de couleur rouge foncé, en fait chargés en fer, trouvés dans une faible profondeur d’eau, parmi les petits galets d’une plage. Comment ces os ont t-ils subi cette transformation ? Sans doute le cadavre était-il entouré de fer ; soldat en armure tombé à la mer ou esclave enchaîné noyé avec ses chaînes ? Le fer en milieu salé a t-il pu être transporté sur les ossements ? Comment ce squelette a t-il été conservé jusqu’à nos jours ? Il était dans une crique sous le vent, donc fort calme. Mais peut être a-t-il été remis au jour par une tempête ? Ou encore, pris dans un filet d’un pêcheur qui, épouvanté, l’a laissé là, sur la grève ?
C’était déjà une trouvaille étonnante !
Le jour suivant, Yves me propose d’aller rechercher, face au mouillage où nous étions, des tessons précolombiens sur un site que Lesley nous a montré quelques mois avant.
En effet, depuis que nous sommes aux Antilles, notre amie nous a appris à reconnaitre les sites précolombiens, caraïbes ou arawaks, qui gisent près des rivages de cette myriades d’îles.
Ces sites maritimes, étaient sources de nourriture pour ces populations d’avant l’arrivée de Christophe Colomb. Ils sont régulièrement remis au jour par des tempêtes ou des cyclones qui, arrachant la terre qui les recouvrent, révèlent des tessons ou autres artefacs que Lesley nous a appris à détecter. Il s’agit de débris de poteries, dont souvent ne restent que les parties les plus épaisses , constituées par les anses des vaisselles de terre cuite. Mais qui sont aussi les parties les plus intéressantes car ornées, d’où leur nom « adornos» en espagnol.
Ces poteries sont faites à la main par les Indiens caraïbes ne connaissaient pas le tour (ni le fer). Elles sont asymétriques et irrégulières dans leurs formes et leur épaisseur ; la terre qui les compose comporte des grains irréguliers. Une autre série de tessons vient des Arawaks, installés avant les Caraïbes et leurs poteries sont plus raffinées et plus fines et décorées de dessins colorés.
On y trouve aussi de nombreux objets et outils fabriqués à partir de lèvres de lambis (coquillage marins très prisés pour leur chair par les Indiens) ou à partir d’autres petits coquillages ou de coraux. ( Je mettrai dans d’autres chapitres de ce site des photos de ce type d’objets) .
Le site que nous allions explorer est en arrière de la plage actuelle bordant la Mer des Caraïbes. Il est constitué d’une mince bande de terre cultivée. En arrière encore se trouve une mangrove qui donne, elle, sur un autre rivage, côté Atlantique. C’est donc un isthme étroit, souvent inondé. Nous trouvons beaucoup de tessons et décidons de revenir le lendemain à l’endroit le plus riche en tessons les plus fins, de type arawak , pour faire des sondages et essayer de trouver des morceaux de poteries moins fracturés, que nous trouvons en surface .
Le lendemain nous nous installons à trois ou quatre mètres de distance l’un de l’autre et faisons chacun un petit trou. Nous sortons des tessons apparemment dépareillés et de petite taille, c’est peu encourageant. Tout à coup, Yves, qui en est à trente centimètres de profondeur, me dit : « j’ai trouvé un crâne ! »
Je bondis et aperçois une calebasse, ronde et régulière. Je rigole !
« Voyons, mais c’est une calebasse ! »
Non, dit Yves, je t’assure, c’est le dessus d’un crâne !
Effectivement, c’était le sommet d’un crâne ! Yves était tombé, pile, sur une sépulture.
Nous nous mettons à fouiller ensemble et dégageons effectivement un crâne et au dessous (et non pas autour) des éléments d’un squelette, cubitus et os des bras et quelques pointes d’ os longs très abîmés, mais très vite, à soixante centimètres environ, nous sommes au niveau de la couche d’eau saumâtre de la mangrove qui infiltre tout le terrain, les autres os sont en poussière. Il n’y a plus rien à tirer de là. Visiblement le défunt a été inhumé en position assise, jambes repliées contre lui ! C’est étonnant.
La découverte de ce squelette nous fait reconsidérer la fouille : tous les tessons, mêmes insignifiants, sont recueillis, car ils sont supposés avoir accompagné le défunt dans son ensevelissement.
Nous ramenons à bord les restes du squelette, pudiquement mis dans un seau, recouvert d’une toile, et surtout en cachette de Winnie notre marin antillais, dont nous craignons les réactions car il est très superstitieux et ne peut sûrement pas tolérer un squelette dans le bateau, il débarquerait !
Je lave tous les tessons, et après séchage sur le pont arrière complètement envahi , j’arrive à reconstituer deux récipients de formes bizarres, à la fin d’un puzzle improbable. L’un est rond sur les trois quarts et avec une pointe en l’airsur le quatrième quart ; il est de facture caraïbe et reconstitué en entier. L’autre, remonté sur ses trois quarts, est un plat ovale, peint de décors bruns noirs et rouges. Nous somme très fiers de nous !
Quelques jours après nous regagnons Fort- de- France pour nous ravitailler, et nous voilà débarquant du Saint-Graal, avec nos seaux à la main et nos ossements dedans. Nous traversons la place de la Savanne en direction du Musée, en nous félicitant qu’aucune autorité portuaire ne nous ai demandé ce que nous débarquions dans ces seaux !
Nous demandons à voir le conservateur du musée et lui expliquons que nous souhaitons lui remettre nos trouvailles. Il s’agit alors de M. Mattioni, fort étonné de notre démarche, mais enchanté de nos découvertes. Il nous dit que, justement, il faisait des recherches sur ces transferts de fer, et que, par ailleurs, notre tombe d’un individu enseveli en position assise, était très intéressante. il nous interoge longuement sur l’observation de la sépulture et nous annonce alors que, l’année suivante, nous trouverions cette tombe reconstituée, dans le musée, avec ses plats et autres tessons rapportés.
Il conclut tout de même en nous quittant : « Si vous aviez fait cette fouille en Martinique je vous aurais mis en prison ! »
Fort heureusement, pour les naïfs archéologues amateurs que nous étions, c’était à Mayero où, à l’époque, aucune loi n’interdisait ce genre de fouilles et où les Antillais, qui sont comme chacun sait d’origine africaine, n’avaient alors aucune attention pour leurs prédécesseurs caraïbes qui avaient complètement disparu et dont aucun descendant avéré n’existait, du moins sur Mayero !
Indifférence généralisée dans ces Grenadines au point que, dans l’île de Moustique, un des plus importants sites pré-colombiens a été enfoui sous les gravats que les bulldozers enlevaient des collines pour construire les luxueuses demeures, semblables à celle de la princesse Margaret (sœur sa gracieuse majesté la reine Elisabeth II). Là aussi, sous le nez des camions qui déposaient des gravats, avec Lesley, nous avons sauvé, in extremis une trentaine de tessons ou d’objets qui affleuraient !
Depuis, cette archéologie précolombienne, qui était déjà bien étudiée en Martinique (travaux de Messieurs Jacques et Henry Petit Jean Roget etc.) , est devenue connue, recherchée et protégée dans toutes les îles du sud des petites Antilles.
Les collections de Lesley – devenue une spécialiste de ces Amérindiens des Grenadines – recueillies sur ces plages où elles étaient méconnues et masacrées, sont maintenant au Musée d’archéologique et de Préhistoire de Martinique et, je découvre en écrivant cet article, qu’il y a un site internet sur ce Musée, très bien fait et explicite.
De mon côté je n’ai jamais su si M. Mattioni avait reconstitué une tombe avec les éléments que nous lui avons apportés.
Je n’ai jamais su, non plus, s’il avait publié ses travaux sur ces « transferts du fer » !