La galère commence
Toute la semaine nous travaillions à Paris, le vendredi soir, départ de Franconville (où nous habitions un appartement en location après la vente de la maison de Sannois) pour le chantier naval à St-Valery s/ Somme. Arrivée vers 21h.
Au tout début et pendant un an environ, nous dormions dans un petit hôtel (que je nommais « des trois canards » comme la chanson, car c’était tordant, le plancher était incliné, les chambres sonorisées en phase avec les voisines ; les lavabos faisaient vases communicants avec les bidets des autres chambres ! Mais les draps étaient propres et pour le restaurant, il faisait salle comble : on y venait de plusieurs kilomètres à la ronde, tant était intéressant le rapport qualité/prix!
Nous avions un arrangement avec Alain Douay. Il devait nous réaliser la coque, le pont, les peintures de la coque, l’installation du moteur et de l’hélice dans un premier temps. Nous etions convenus qu’ au fur et à mesure de nos disponibilités financières, les boiseries internes et autres aménagements seraint commandés. Par ailleurs nous pouvions assurer nous-mêmes divers travaux internes ou externes pour lesquels, en contre partie, nous versions une petite location au chantier pour électricité et autres services mis à notre disposition. En effet, nos possibilités financières ne nous permettaient pas de faire réaliser tout le bateau par le chantier, ni même de faire exécuter les travaux de façon continue. Il nous a fallu quatre ans pour aller au bout des aménagements .
Nous avons commencé à travailler à bord alors même que le bateau n’était pas encore à l’au et n’ était qu’une coque et un pont. Sa taille et sa hauteur étaient impressionnantes : il fallait gravir une échelle sur 4/5 m de hauteur. Nous arrivions alors dans une grande baleine de 20 m. de long et de 5,20 m. de large que nous avons vue, semaine après semaine, se cloisonner et se formater.
Le 15 septembre 1980, Yves note dans son journal «Nous allons y travailler tous les week-end et souvent le lundi, moi seul »
Le bateau a été sorti du hangar vers mai/ juin 1980 et couvert par des toiles tant que les hublots et capots de pont n’étaient pas installés ou étanchés. Nous avons d’abord posé tous les hublots en réalisant, leur étanchéité et leur rivetage.

Le roof à lui seul nous a demandé un week-end complet : 14 ouvertures et pour les plus grandes avec 40 boulons par ouverture à étancher et visser à fond. Yves à l’intérieur à injecter le joint pâteux et à visser, Jeanine à l’extérieur à introduire la vis et à la maintenir pendant qu’Yves vissait l’ecrou ; deux coups frappés pour faire savoir que le vissage était terminé et que l’on passait au suivant.
Là commença aussi une série d’embêtements (pour être polie) qui se poursuivit durant toute nôtre vie avec le Saint-Graal.
Yves avait fait appel au matériel d’accastillage Goïot dont l’excellence était connue et pourtant déjà là, il y eut un problème : le capot du poste avant qui devait théoriquement se fermer aisément en le poussant du pied, offrait une résistance incongrue qui, avec une agançante mauvaise foi, n’était pas reconnue par les responsables de la marque. Le mouillage de l’ancre me revenait dans nos futures manoeuvres, avec la nécessité d’ouvrir le capot pour vérifier le bon positionnement de la chaîne dans son puits. Il m’était impossible d’ouvrir ce foutu capot ! Une rencontre houleuse (de mon côté) avec Monsieur Goïot, au salon nautique, résolut le problème : il reprit le capot, admit que l’usinage avait été défectueux et le fit réparer.
Et ce ne fut pas le seul incident avec cette fameuse marque, dont l’un d’eux faillit aboutir à une grave collision, le câble de commande des gaz ayant une courbure trop importante dans la colonne Goïot qui le conduisat des manettes de commande au moteur, s’est sectionné dans un port où nous entrions et nous avons failli emboutir un très beau yacht de luxe – Je raconterai cela en son temps-.
La prise des mesures pour le positionnement et la confection des six réservoirs (eau et fuel) nous prit aussi tout un week-end. Yves réalisa les dessins en 3 D (il était ingenieur) ! Il est vrai que les espaces dans lesquels devaient s’inclure ces reservoirs conditionnaient leur forme tarabiscotées afin d’utiliser le maximun de place. Seules leurs 4 faces verticales étaient parallèles. cependant leurs dimensions étaient différentes car les faces inferieurse des reservoir étaient en plans inclinés de l’arrière vers l’avant et du côté vers le milieu en suivant les inclinaisons des fonds du bateau. Bel exercice de géometrie dans l’espace. 5 reservoirs furent realisé correctement, le sixième était réalisé à l’envers ! La partie la plus mince à la place de la plus haute et le côté le plus haut à la place du côté le plus bas ! Consternetion ! Les délais de reconstuction de ce résevoir auraient rendu impossible la mise en place du cockpit déjà programmée par le chantier, car il était impossible de passer un nouveau réservoir ; Seule l’ouverture dans le pont, avant mise en place du cocpitt, permettait d ‘introduire ces reservoirs volumineux à l’intérieur. Compte-tenu de leurs volumes importants, ils devaient impérativement être rentrés et mis en place avant. Finalement, Heureusement l’emplacement prévu était sous une coursive dont les differences de niveaux avant-arrière et lateraux étaient peu importants et dont nous avons pu relever le niveau du plancer de quelques centimètres et, comme nous avions par précaution laissé un peu de jeu, nous avons pu placer malgré tout ce résevoir dans son logement en comblant les espaces en trop avec de la mousse en expension.
Nous avons ensuite installé les passe-coques avec leur vannes, (une douzaine) qui devaient, eux aussi, être percés, étanchés et installés avant la mise à l’eau. Les passe-coques sont les sorties à la mer des différents lavabos, wc, éviers de cuisine dont les eaux usées sont renvoyées à la mer. Il faut donc percer la coque, installer dans l’orifice des tubes métaliques qui sont munis d’une rondelle plate, plus large que le tube du côté exterieur du bateau et qui va s’appuyer sur la coque. L’autre extrémité (celle qui sera à l’intérieur du bateau) est filetée d’un pas de vis sur l’extérieur du tube sur lequel sera vissé un écrou qui enserrera ainsi la paroi du bateau. On imagine bien qu’il faut une étanchéité parfaite car, une fois le bateau à l’eau, il pourrait y avoir des infiltations entre le tube et la coque, ce qui endommagerait la coque mais aussi provoquerait des entrées d’eau à l’intérieur du bateau ; et on ne peut réparer sans mettre le bateau au sec. D’où le grand soin que nous avons pris à réaliser ce travail essentiel. Il fallait d’abord plastifier les parois du trou dans la coque. Dans un deuxième temps il fallait noyer l’orifice de joint pâteux avant d’y introduitre le tube et ensuite, avant de fixer le tout en place, bourrer de joint l’espace entre la rondelle et la coque d’une part, et d’autre part, à l’intérieur du bateau, bourrer de joint autour de la sortie filetée du tube avant de fixer l’écrou et de le serrer. De plus, la sécurité demandait qu’un contre-écrou vienne empêcher l’écrou de se dévisser avec les soubressauts ou les vibrations du bateau. Travail minutieux exécuté, là encore, en binome Yves /Jeanine, extérieur/ intérieur.
La fixation des tuyaux souples d’évacuation sur le tube fileté, à l’intérieur du bateau fut, plus tard, un jeu d’enfant, comparé à cet épisode de mise en place des passe-coques !
Yves précise : « Je prépare en ce moment les passe-coques ; les trous sont faits depuis longtemps et nous les avons stratifiés. Ce dernier week-end j’ai brasé les rondelles extérieures et j’ai décidé de maintenir le laiton malgré les risques de dézingage. Je les fais nickeler cette semaine ; je devrais monter définitivement les passe-coques ce prochain week-end. J’ai des problèmes avec les écrous intérieurs ; je n’ai trouvé que ce matin des contre-écrous chez Adrien Riquier décolleteur à Dargnis »
Ainsi Yves, dans la semaine, organisait le travail prévu pour le week-end suivant et arrivait le vendredi sur le chantier avec tout le matériel nécessaire. Une organisation impeccable !
Le 17 septembre 1980 Yves note dans son journal : « L’enduit de la coque est en cours après un premier gelcoat. Tous les capots Goïot sont posés depuis Juin ; les plexis du roof aussi ; les hublots du cockpit ont été posés en Juillet. Je n’ai pas pris de grandes vacances pour pouvoir travailler au bateau.
Albert Rajau a préparé le décoration intérieure et un gars du chantier, Patrick, a commencé les aménagements à l’avant »
Albert Rajau était (et est toujours) notre grand ami qui avait si souvent navigué avec nous à bord de notre côtre Kernevel. C’est un très grand décorateur aux divers talents : films, réalisation de palais au Moyen Orient etc.… Il s’était proposé pour nous aider à la décoration intérieure. Il était le premier d’une chaîne d’amis qui, ponctuellement, nous ont aidés à réaliser certaines parties des installations.
C’est Albert qui nous proposa l’harmonie des couleurs intérieures du bateau : blanc, blond, bleu , rouge ; les portes des placards blanches à encadrement de bois blond, les coussins et couchettes revêtus de velours bleu-gris et les petits coussins rouges, plus tard complétés de tapis turcs à dominante rouge qui allumaient l’ensemble.
C’est aussi avec lui que nous avons inventé la table du carré, comportant la possibilité, pour moi, comme pour d’autres passagers de petite taille, de s’y agripper en cas de gîte importante rendant les mains-courantes du plafond inaccessibles.
C’est encore Albert qui imagina le graphisme du nom du Saint-Graal qu’il peignit lui-même sur le tableau arrière.

Yves ajoute « le gouvernail a été présenté ; le tube de la mèche n’est pas encore stratifié définitivement dans le coqueron arrière. Le bâti moteur est soudé est présenté à sa place, le trou pour le tube d’étambot pour la ligne d’arbre est en cours de présentation. Le chantier prépare le passage
Je dors avec Jeanine dans notre cabine sur matelas pneumatique en rêvant aux aménagements finis. Le moteur (un Caterpillar 200 cv) est arrivé depuis Juin. La mâture et la voilure sont attendues.
Jeanine a attaqué les peintures des intérieurs des coffres et sièges du carré et maintenant de l’avant »

Enfin le bateau va être mis à l’eau : Le lundi 17 octobre 1980, il est tracté à proximité du canal. Une grue a été prévue. Le bateau sanglé est soulevé.
On en profite pour mettre en place la dérive.
Corentin, le père d’Yves, venu pour la circonstance, dit malicieusement : « Je me mêle peut-être de ce qui ne me concerne pas, mais ce trou là, qu’est-ce que c’est ? »
Stupéfaction ! On constate qu’un trou avait été aménagé par le chantier dans les fonds, pour permettre la sortie des eaux de pluie pendant que le bateau, sorti du hangar et pas encore étanché dans ses superstructures, recevait la pluie. Tous l’avaient oublié!
On arrête tout, on bouche le trou, on laisse sécher et en fin d’après-midi, on remet ça.
Le bateau est enfin à l’eau ! Mais il est ressorti en vitesse car on s’aperçoit que le manchon de l’axe du puits de dérive fuit.
Exit le bateau de nouveau sur son ber ! Ce sera pour demain !
Personne ne pouvant rester, la famille rentre à Paris !