La construction du Saint-Graal

Les débuts

Un soir,  Yves en rentrant de son travail  me déclara : « On vend la maison, on construit un bateau de charter et on s’en va ! »

Une bombe  aurait explosé auprès de moi,  elle m’aurait fait le même effet !

 Après une vie émaillée de peripéties dont le départ de mon Algérie  natale, ma vie était reconstruite, un foyer avait été recréé, et d’un seul coup tout  basculait  à nouveau !

Yves, lassé des restructurations incessantes de l’entreprise ACIEROID, où il était entré parmi les premiers, transformée en FEREM,  filiale de la SREG,   était le dernier de l‘ancienne équipe. Il savait aussi qu’on le conservait surtout parce qu’il était Expert auprès des tribunaux et que cela faisait bien d’avoir un des directeurs possédant un tel titre.  II  avait donc décidé d’anticiper son départ en le négociant.

Sa passion pour la mer s’était renforcée ces dernières années où il avait pris de l’assurance en skippant seul le Kernevel  (une réplique du Kurun du Toumelin,)  et en s‘affranchissant de la statue du Commandeur qu’était son père, Corentin Bourvéau. De plus il était  devenu fin navigateur et enseignait à l’Ecole de navigation du  Touring club de France, dont il  devint directeur.    Il avait décidé  ce projet ;  il était d’origine bretonne, c’est dire determiné : c’était irréversible !

La construction du Saint Graal

Nous  avons  vendu la maison familiale de Sannois à la première personne à qui nous l’avions proposée, le docteur Turgis quand il était nouvellement installé,  il ne l’acheta que  deux ans après!

C’est à peu près le temps qu’il nous a fallu pour démarrer la construction du Saint-Graal,  c’est à dire pour élaborer toutes les phases du projet.

D’abord le plan : très vite Yves a décidé de donner sa chance à un tout nouveau cabinet d’architectes « le Groupe Graal » qui réunissait trois jeunes hommes : le premier architecte naval diplômé, Patrick Dubois, l’ingénieur mécanicien Grégoire Dolto (oui – le fils de Francoise et le frère du chanteur Carlos), diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de  Mécanique de Nantes et d’un ingénieur de l’Ecole Centrale, Alexandre Deleule.

Ces trois jeunes associés avaient tous une grande expérience  de la course au large. Ils avaient déjà dessiné un  grand  catamaran «Royale» qui avait participé avec succès à une course transatlantique.  Yves, après les avoir rencontrés et discuté avec eux, les jugea dignes de confiance et ils ne nous déçurent pas.

Eux étaient emballés, c’était leur première commande d’un grand voilier monocoque de grande croisière avec, en prime, des gageures : faire un bateau habitable, confortable et rapide.

Nous leur avions remis le croquis de la disposition interne que nous souhaitions : un très grand carré / salon,  4 cabines doubles, un grand espace  machinerie/atelier, une cabine marin / puits à chaîne à l’avant et un coqueron / réserve à l’arrière. Il s’agissait pour eux de nous dessiner autour  de ce plan sommaire la coque la plus performante possible !

Il s’agirait, pour la coque, d’un dériveur lesté, avec dérive escamotable  pour diminuer le tirant-d’eau, et pour la mâture  ce serait une goëlette à mâts égaux,  pour diviser la voilure et la rendre plus facile à manoeuvrer. Par ailleurs, deux mâts plus bas, diminuaient  les risques de fragilité d’un seul grand mât.

Il y eu des dizaines de rencontres fructueuses où, l’un ou l’autre (ou les trois) nous réunissaient pour nous exposer leurs solutions. Yves et eux, en tant que techniciens, se comprenaient très bien. Avec moi,  il fallait donner de bons arguments, les discussions étaient plus passionnées, mais nos trois compères gardaient toujours calme et sourire. Le seul domaine où je suis réellement intervenue sans démordre était la disposition de la cuisine dans laquelle j’allais officier. Je n’ai jamais regretté les choix que j’avais  faits.

Ils nous ont concocté un voilier remarquable et beau, au point qu’avec Yves, après quelques années  de navigation,  nous nous disions  que si c’était à refaire nous n’aurions rien changé au  Saint-Graal : il était parfaitement adapté à l’usage  que nous en faisions.

Pourquoi le nom de Saint-Graal ?

Pendant les années de construction, le bateau était désigné sous l’appellation « Graal  630 »  comme les architectes l’avaient nommé sur leurs plans.   Nous, nous cherchions un nom.  Encore fallait-il que ce nom soit libre et qu’un autre bateau ne le portât pas.

Entre autres, nous  avions pensé à « Kernevel II »,  « Lancelot », en jeu de mots, ou « Gohareva », du nom d’une crique de l’île de Bréhat qu’ Yves aimait tant. Après maintes tergiversations, Alain le patron du chantier nous dit : « Pourquoi ne l’appelez vous pas  Saint-Graal » et c’était parti !

Tout d’abord   je trouvais cela assez irrespectueux de nous approprier un nom si illustre mais, ayant réalisé que le Graal  était une coupe et que d’une coupe à une nef, il n’y a qu’un pont en plus,  pourquoi pas  ? Ce nom fit aussi le succès du bateau et attira sans doute plusieurs passagers  titrés.

Il y eut plusieurs  prospections et visites de chantiers navals pour le choix du type de construction, en effet on avait, en 1978, le choix entre bois, aluminium, inox, ciment ou matières plastiques  composites.

Yves choisit le chantier de l’Anitra,  du nom premier du bateau construit  pour lui-même, par  Alain Douay, patron du chantier.  Ce dernier avait mis au point une technique  qui consistait à  construire la forme générale du bateau (quille en l’air) avec ses membrures en bois reposant sur des gabarits. Puis il posait, sur cette sorte de patron de la coque, de l’inox déployé recouvert ensuite par des couches successives de tissus de verre enduits de polyester.

Après retournement du bateau,  il  déposait sur la face interne de la coque une première couche de  tissus de verre/plastique  qui épousait toutes les membrures, puis comblait les creux entre  elles, dans les parties hors-d’eau,  par des morceaux de mousse plastique dure découpés aux dimensions de chaque petit compartiment. Enfin  il recouvrait le tout d’une paroi interne faite aussi de plusieurs couches de tissus de verre enduits successivement de polyester. Une couche de Gelcoat finale donnait à la paroi interne un aspect blanc avec les quelques reliefs provenant de la couche finale de non tissé.

Ce procédé avait déjà fait ses preuves  pour construire un voilier, dessiné par Ron Holand, qui avait participé à une course autour du monde.  Mais surtout, ce procédé était utilisé par le chantier de l’Anitra  pour  construire des chalutiers  réputés pour leur solidité.

Un ami de travail d’Yves, spécialisé dans la résistance des matériaux, fit des essais de résistance de la coque sur un échantillon de ce type de sandwich ; il alla jusqu’à tirer dessus avec des balles à éléphant !  Les balles avaient cabossé l’échantillon sans parvenir à le traverser ! Nous étions rassurés !

Par ailleurs,  le bateau  dessiné par Ron Holand,   s’étant échoué au cours de la Withbread et ayant été drossé pendant plusieurs jours avant son renflouement, des faiblesses étaient apparues à la liaison coque/quille.  Du coup cette liaison fut renforcée sur le Saint-Graal  au point que, plus tard,  en  perçant  la coque pour établir  un passe-coque  Yves  retira une carotte de près de 12 centimètres ! Le Saint Graal était devenu indestructible !

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