Le premier essai au moteur
Nous étions déjà à la fin de l’année 1981.
Le 13 décembre 1981, Yves se réjouit : « Grande première, hier samedi, l’hélice a enfin été posée à l’eau par des hommes-grenouilles payés par le chantier. Nous avons fait pour la première fois un tour au moteur sur le canal. Il y avait de la neige sur le pont. Jeanine a pris la barre tout de suite. Le bateau évolue facilement ; quelques problèmes avec le marche arrière qui ne passe pas toujours pas bien. »
Il précisera plus loin « Un décalage des commandes morse de la timonerie quand on commande depuis le pont les marches avant/arrière»
Comme c’est pudiquement dit ! Voici ma version des faits :
Hervé Blanche, un autre propriétaire qui tentait de terminer son bateau, vivait à son bord avec son épouse et deux adorables bambins.
L’aîné, assez culotté, qui devait avoir 5 ans, venait souvent nous rendre visite ; nous l’adorions. Il était à notre bord au moment où nous devions nous lancer pour cet essai, il y resta avec la permission de ses parents.
Un fois décollés du ponton, nous faisions enfin route avec une grande joie, vers l’amont du canal qui n’avait pas tellement plus de 22 m de largeur, juste de quoi faire demi-tour pour revenir au chantier.
Yves était à la barre ; tout à coup la commande de marche arrière, utilisée pour commencer à virer s’avère inefficace et il n’y a pas de frein sur un bateau, la seule façon de freiner c’est de faire marche arrière. Yves me jette « Prends la barre et va tout droit ! » et il se précipite vers la descente où je le vois disparaître .
Bien sûr que j’ai pris la barre tout de suite, comme il dit! Comment faire autrement? Mais en face de moi, barrant le canal il y a un pont, et nous avons déjà les mâts en place ! Impossible de passer, la seule chose à faire est de réduire la vitesse jusqu’à son minimum et ne pas paniquer.
Heureusement mon ZORRO d’Yves arrive à arrêter le moteur et le bateau finit par stopper avant le pont, tout doucement en courant sur son aire, juste au niveau d’un troupeau de vaches s’abreuvant et ahuries de l’arrivée de cette baleine inattendue. Ouf, on l’a échappé belle !
Mais, sans possibilité de manœuvrer, il est impossible de revenir au chantier et entraîné par le courant, le bateau va se mettre en travers et s’échouer sur une rive. Yves s’active en catastrophe à trouver une manille pour fixer l’ancre qui était déjà à poste, mais pas encore reliée à la chaîne. Nous mouillons, là encore pour la première fois, au milieu du canal et assez court pour rester dans le courant et éviter l’échouage. Ouf, on respire une deuxième fois !
Et maintenant qu’est ce qu’on fait, plantés au milieu du canal, sans annexe pour rejoindre la rive, sans radio, sans téléphone pour prévenir le chantier ?
Je dis : « Bon, ce n’est pas grave, on a tout ce qu’il faut à bord, même si on doit y passer la nuit ! »
À ce moment là, notre petit invité qui avait, bien sûr, perçu tout le stress qui avait précédé, se met à pleurer.
« Mais pourquoi pleures-tu ? »
« Je ne peux pas rester sur le bateau »
« Mais tu as l’habitude, tu vis sur un bateau, tu connais le nôtre. Il y a à manger et on a des couchettes ! » Les pleurs redoublent !
« Mais enfin pourquoi est-ce que tu pleures autant ? »
et la réponse qui nous fait éclater de rire : « J’ai oublié mon pyjama ! »
Son désespoir fut de courte durée : Hervé, son père, situé à un bon kilomètre avait entendu mouiller la chaîne, car les bruits se propagent très loin sur l’eau. Il avait immédiatement compris que quelque chose n’allait pas, et sautant dans un zodiac en compagnie du patron du chantier, arrivait à la rescousse ! Ils tractèrent doucement le Saint-Graal, penaud, jusqu’au ponton, où en sécurité, ils examinèrent avec Yves les raisons de la panne et où notre petit invité, rassuré, regagna son bateau !
Voilà la véritable histoire de notre premier essai !
Quant à l’hélice, on se souvient que, par suite d’une erreur de commande du chantier, le bateau avait été mis à l’eau sans son hélice. Pour éviter un nouveau grutage des plongeurs mirent l’hélice en place, mais ils ne réalisèrent pas ce travail correctement et Yves faillit la perdre, au cours de la première grande navigation : la descente de l’Atlantique vers la Méditerranée.
Je vous le dis, en vérité Saint-Graal n’était pas un bateau tranquille !