La construction du Saint-Graal

Enfin à l’eau

Le 2 Novembre 1980 nous avons vu pour la première fois notre bateau à l’eau.

Nous sommes montés à bord, par une passerelle, normalement pour la première fois, et  quand nous nous sommes trouvés dans le cockpit, en regardant vers l’arrière et vers l’avant, nous n’avons plus été autant impressionnés par la taille de Saint-Graal. Les dimensions  étaient beaucoup  plus  à l’échelle humaine, vues à partir du milieu du bateau,

Mais les problèmes ont continué : le presse étoupe fuyait par défaut de fonderie de la pièce femelle (40 litres par jour ! ). Par contre les vannes placées par nous étaient,  elles, toutes étanches !

L’hélice dont Yves s’était  aperçu  que le pas était à l’envers (sic!) avait été retirée par le chantier avant la mise à l’eau du bateau qui était donc sans hélice.  Cependant le moteur avait été posé et aligné.

Nous avons entrepris de rentrer le lest à bord pour éviter des frais supplémentaires par le chantier.   Yves précise : « Nous avons rentré 1,3 tonne  de lingots de ferrailles ou de plomb ce samedi soir ! Et pour la première fois avons dormi dans notre cabine arrière,  le bateau étant à flot. Il gèle fort (- 3° ou -4°)  à l’extérieur mais avons un radiateur électrique.   Pont couvert de givre  le dimanche matin.  Première photo à flot prise à partir  l’autre rive du canal ».

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Le 23 décembre  1980 il note :  « J’ai réceptionné les mâts avec Jeanine dimanche dernier ; tout est à peu près OK.  J’ai Réglé le problème des câbles de gréement avec SARMA . M François Sarma accepte  de me fournir les câbles manquants qui lui seront remplacés par la câblerie »  –  Autrement- dit des câbles fournis n’étaient pas aux bonnes dimensions !-

« J’ai terminé la mise  en place de l’échappement  dimanche denier ». Il constate : «…avec le règlement des mâts, le capital constitué par le vente de la maison est terminé,  je vais désormais marcher à l’économie  (2 ans !). Les deux cabines avant sont à peu près terminées en aménagements ;  la cabine de coursive aussi.; Nous allons à Forcalquier pour Noël et à bord de Ty Yann pour le jour de l’an »

 On se donnait enfin congé en rejoignant mes parents pour un Noël en famille et devions passer le Jour de l’An sur le bateau de nos amis Nadine et Jean Lauduique,  TY YANN,  une  superbe unité de Hamel, à quai dans le port de Deauville, mais seulement pour l’hiver  car Nadine et Jean étaient de sacrés navigateurs et rentraient de Norvège et des îles Lofoten.

La déprime

Le bateau une fois mis à l’eau nous avons continué les installations. Les week-ends au chantier se décomposaient comme suit : Arrivée  le vendredi soir vers 21h30,  dîner et à dormir ! Le samedi  matin, petit déjeuner et travail jusqu’à midi, déjeuner et nouvelle tranche de travail  jusqu’à la pause-thé et nouvelle tranche  jusqu’à 21 h ou 21h 30 ; à diner et à coucher, vannés !

Le lendemain dimanche, même rythme  sauf que, vers 21h,  on repart pour Franconville où, arrivant vers minuit il ne reste pas beaucoup de temps  pour nous reposer, et le lendemain, on travaille ! Â un tel rythme, moi je m’effondre.

La société pour laquelle je travaillais  comme conseillère technique pour la conception, l’utilisation didactique de films  avait pour patron Henry Coty,  petit fils du grand parfumeur (et milliardaire) Coty des années 30.  Mais la société est mal gérée et toujours au bord du dépôt de bilan et  nous  nous défonçons pour améliorer les choses.  J’avais trouvé là une activité qui était dans mes cordes  en tant  qu’ancienne infirmière-cadre. J’enseignais dans les écoles d’infirmières, ou dans des d’établissements hospitaliers comment utiliser les supports audio-visuels par les monitrices ou pour la formation professionnelle.  Dans certains établissements c’est moi-même qui dispensais cet enseignement. Je me déplaçais souvent dans la semaine,  par exemple pour aller au  Vinatier, grand hôpital psychiatrique de Lyon,

Ce rythme, je le soutenais  à grands renforts de café. Mais un jour c’est l’effondrement : le café en trop grandes doses, le surmenage, les vapeurs des peintures, ou de white spirit, l’angoisse qui grandit, peut-être  à mesure que  la construction du bateau avance et que s’approche le grand départ redouté !

Un  jour,  ne pouvant  plus rien pu pour moi même,  ligotée dans ma déprime,  je me livre  aux médecins du service spécialisé de l’hôpital de Gennevilliers.  Perfusions,  loque.

Enfin  remontée,   week-end à la maison pour commencer  suivi d’un petit voyage en  Espagne où Yves a une réunion professionnelle, puis retour au chantier.  Mais  cela a nécessité  un an et demi de traitement  médicamenteux pour me refaire complètement  une santé  !

Le 29 mai  1981 Yves note :  « Jeanine est tombée sérieusement malade pendant deux mois, dont  6 semaines à l’hôpital : dépression. ; Ça va mieux et même beaucoup mieux !  Nous rentrons du chantier avec Lesley et Jean Pierre  où nous avons vu pour la première fois le mât avant en place.   Les quatre cabines sont à peu près terminées pour le gros des aménagements, la cuisine est commencée ; le 2e mât sera mis en place  la semaine prochaine ;  toutes les batteries sont à bord ; la nouvelle hélice est arrivée avec le bon pas ; les winchs Barbarossa   et l’accastillage de pont,  le Constavolt et l’enrouleur de foc sont livrés. Les tubes des chandeliers sont prêts chez Jean Guyon » 

Lesley sutty était alors une amie de près de 20 ans en arrière  (et l’est toujours):  J’en reparlerai longuement plus loin.  Cependant les problèmes continuent :

« …J’ai renvoyé à Loizeau le Yankee  (voile d’avant) pour changer la ralingue  de chute avant qui ne correspond pas aux dimensions de l’enrouleur Proengin »

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Le bateau avec ses mâts
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Première vue du pont prise par Yves à partir du haut du mât

Le deuxième mât a donc été  mis en place par la grue du chantier ;  il est juste posé  dans son emplacement  cylindrique qui descend quand même jusqu’à la quille du bateau ; il faut se hâter de stabiliser tout cela.   C’est Yves qui installera la douzaine de haubans  revenus  de  chez Sarma,  enfin aux bonnes dimensions. C’est lui qui fixera solidement ces haubans  à des cadènes en acier,  rivetées à la coque ou passants à travers le pont,  suivant les angles déterminés par les architectes. Il est à noter que  par la suite aucune cadène ne manifestera de signe de faiblesse.

 Quant à l’alimentation électrique  cela demande quelques explications : Les batteries étaient de grosses batteries de camion ;  il y en avait  huit, six étaient consacrées à stoker  et utiliser l’électricité en 24 volts destinées à l’éclairage du  bord mais aussi à  tous les instruments d’assistance à la navigation ainsi que  pour  alimenter les deux congélateurs, et encore pour la pompe à eau chaude.    Deux autres batteries étaient destinées uniquement à la mise en marche du gros moteur Caterpillar pour pouvoir décaniller en urgence d’un mouillage devenu dangereux.

Ces deux séries de batteries, entretenues soigneusement par Yves n’ont jamais à ma connaissance du être renouvelées pendant douze ans !

L’alimentation en électricité venait d’abord d’un alternateur  couplé au  moteur Caterpillar.  Nous avions aussi la possibilité d’utiliser, quand nous étions sous  voile, l’arbre d’hélice débrayée  qui entraînait une dynamo en  tournant avec la vitesse  du bateau.  Nous l’avons peu utilisé car cela faisait un boucan énorme, en particulier difficile à supporter de nuit.  nous avions aussi un groupe electrogène de marque BMW qui donna beaucoup de problème à yves du fait de ces vibrations qui tendaient à rompre ses fixations.   Quand nous étions à quai (rarement, dans les premières années), nous pouvions utiliser l’électricité fournie par la port.  Le « Constavolt » servait à contrôler tout cela.  Nous n’avons donc jamais manqué de courant.

 Quant aux chandeliers de jean Guyon , Yves avait connu Jean Guyon en tant « Frère de la côte » Cette confrérie avait coopté Yves qui avait pris très au sérieux cette appartenance  et fréquentait régulièrement les réunions de cette société, assez secrète, appelés  « branles-bas » ou  » boucans ».  Les Frères avaient pour particularité d’y être désignés sous un surnom, celui d’Yves était « le Bréhatin », de porter  tricorne de feutre  et d’appeler  leurs épouses ou compagnes, « les Captives» qui, par ailleurs, étaient exclues des branles bas  et invitées pour certains boucans une  ou seux fois par an  par exemple à l’occasion  du Salon Nautique.

De grands noms de la navigation appartenaient  à cette confrérie  dont Eric Tabarly,  en personne, mais aussi d’autres comme  Alain Colas, l’amiral de Kerviller, Jack Groult, Olivier Stern-Veyrin,  et plus tard Jean-François Deniau, etc.

Leurs grands principes étaient la conservation et la défense des traditions  de  la marine à voile  et  l’entraide entre navigateurs.

Jean Guyon,  dit « Pipe au Vent » en tant que frère de la côte,  avait une usine de production d’objets en inox.  C’était un homme délicieux, chaleureux et généreux.  Il fit pour Yves tous les balcons du bateau, les chandeliers des filières, les supports  de bômes  avec enthousiasme et des prix très amicaux.

Jean est mort prématurément quelques temps avant Yves et cela nous avait très attristés.

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Jean Guyon, Yves Bourvéau et des Frères de la Côte en 1983

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