Magie des lunettes noires

Magie des lunettes noires

Dans les Grenadines, Lesley, ma chère amie, nous a amenés sur un site opulent de vestiges précolombiens, face à l’océan mais protégé par le récif de corail. Là des milliers de tessons jonchent la plage et le terrain en arrière.

Nous sommes fous de bonheur de prendre connaissance de ce site, mais navrés de voir que le troupeau de cochons du propriétaire des lieux foule le sol et brise encore plus ces tessons remis au jour par la dernière tempête.

Nous ne savons  quoi ramasser, quoi sauver ; nous recueillons  le maximum de tessons intéressants par leurs dessins, leurs formes et les confions à Lesley qui avait déjà constitué une petite vitrine-musée dans la devanture d’un magasin, il y a quelques années,  dans le village constituant le port de cette île des Grenadines. Mais cette vitrine a aussi été détruite au cours d’une tempête tropicale. Yves et Lesley rivalisent dans les prouesses de leurs trouvailles.

Et tous deux se précipitent, mais Yves avec un petit temps de retard, sur une sorte de feuille  blanche triangulaire ;  Yves crie de dépit, c’est Lesley qui a gagné !    Elle avait compris avant lui : c’était une énorme dent de requin, datant de peut-être quatre ou cinq siècles en arrière,  qui se trouvait au milieu des autres artefacts. A- t-elle été recueillie  par les Amérindiens ou bien est-elle fossile ?

De mon côté  j’ai découvert des petites perles carrées en nacre  portant des trous pour les enfiler, des petits  cônes (coquillages) perforés pour en faire des pendeloques tintinnabulantes pour des danses sauvages,  des lèvres  épaisses  de coquilles de lambis,  le régal de ces indiens, taillées en forme de hachette, des morceaux de coraux façonnés pour servir de râpe et bien d’autre objets étonnants, très particuliers  et sans aucune parenté avec ceux que l’on peut trouver sur des sites archéologiques en Europe ; Ces indiens vivaient à proximité des rivages abrités et vivaient surtout de pêche, de coquillages, de la chasse de quelques  petits animaux  et de quelques cultures.  Leur outillage était donc souvent, constitué de ce qu’ils avaient sous la main : les coquillages,  l’argile  pour les plats et vaisselle,  matériaux que l’on retrouve ; le bois et les vanneries eux ont été détruits par le temps.

Ayant  trop chaud au soleil, avec Yves nous poursuivons nos investigations en sous-bois, un peu en arrière de la plage. Mes lunettes noires me gênent et à l’ombre des arbres et je les enlève. ; N’ayant pas mon sac à proximité je les pose,   ouvertes,   bien en équilibre  sur une branche  et… je les oublie !

En fin de matinée, en rentrant à bord, je constate mon  oubli et fais une croix sur la perte ;  le site est de l’autre côté de l’île, on est trop loin pour y retourner ;  je me dis  qu’un natif sera bien heureux de les trouver.

Nous repartons en Méditerranée et nous ne revenons aux Antilles que six mois plus tard. Lesley n’est  pas à Union, cependant avec Yves, entre deux charters, nous retournons sur ce site étonnant,  pour voir ce qu’il est devenu entre temps.

Il y a toujours beaucoup de tessons,  les cochons parcourant  toujours le site.   Pour la même raison, après un moment sur la plage, nous passons à l’ombre. Et  là, je retombe sur mes lunettes toujours bien posées sur la branche !

Je n’en reviens pas : il est impensable que personne ne soit passé par là, ne serait-ce que le propriétaire des cochons pour les rassembler ! C’est un cheminement naturel. Je récupère les lunettes, intactes !

Plus tard j’ai raconté l’anecdote à Lesley qui ne s’en est pas étonnée : il y a des croyances dans ces petites îles,  des tabous  insoupçonnables pour nous.

Elle-même, n’est elle pas considérée comme une sorcière par les habitants d’Union Island ? Elle est brune, avec des cheveux longs, les yeux bruns et elle vit seule dans une maison isolée presqu’au sommet du mamelon qui surplombe l’île. Elle est forcément sorcière pour vivre dans un tel endroit !

Il ne lui est jamais rien arrivé, ni menace, ni cambriolage : Il y aurait pu y avoir des représailles de la sorcière !

Pour les lunettes, habituellement elles cachent un regard. Il n’y a qu’à voir comme les noirs aiment porter des lunettes noires, inutiles, sauf  pour se forger une personnalité  et s’affirmer et exposer  leur aisance en intimidant par leur regard masqué.

Si quelqu’un a vu ces lunettes il lui était impossible de penser à un simple oubli : abandonne-t-on des lunettes ouvertes, sinon pour jeter un sort ? Il y a un regard derrière ces verres. Il n’était donc pas question de les prendre, c’était  trop dangereux !  C’est ainsi qu’elles sont restées, intouchées, pendant six mois !

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