Seule dans la nuit

 Seule dans la nuit

stgraal 71
Un mouillage dans les îles Kornati

Nous sommes en plein mois de Juillet  , sur une île pratiquement inhabitée,  nous  dînons  à bord avec notre équipier Laurent , il ne fait pas encore nuit :  une soirée tranquille, sans passagers, entre deux charters.  Nous avons choisi ce mouillage sûr,  tout au fond d’une assez grande baie, dans  crique en forme de  V.     Il y a peu de vent et  celui-ci  vient de l’arrière du bateau qui est bien tenu à terre par deux  aussières croisées, nouées  à des rochers ; il est  mouillé sur ancre à l’avant avec suffisamment de chaîne pour la hauteur d’eau de 5/6 m.

Une prémonition ?  J’interroge Yves : « Et si un jour nous avons besoin de partir sans avoir le temps d’aller à terre larguer les aussières qu’est-ce qu’on fait ? »                                                                      

Yves me répond : « On les largue à partir du bord et on s’en va ! » Autrement dit on abandonne les cordages en  dénouant leurs extrémités qui sont  nouées  à bord.

Deux heures après, le vent a tourné  et vient maintenant de face. Puis  la nuit tombe tandis que le vent se renforce. Une demi heure après, la nuit étant noire  il devient  évident que notre position  n’est plus tenable ;   la mer se forme et le bateau  s’agite au fond de ce chaudron

Yves décide de partir.   Laurent doit aller à terre larguer les amarres mais  il ne peut y aller seul car il y a maintenant des vagues  et pendant qu’il escalade les rocs pour aller dénouer les cordages, il ne peut laisser le zodiac être drossé sur les rochers hérissant tout le pourtour de la crique sur 2 à 3 mètres de hauteur.

Il faut que Yves  aille l’aider en  restant manœuvrant  à bord du Zodiac et l’ éclairant  pour ces manœuvres périlleuses.   Ils prennent des lampes-torches, quittent le bord et s ‘éloignent   dans le noir.

Je suis seule à bord,  ils ont laissé le pont éclairé pour tous ces préparatifs.   Moi, le moment venu,  je devrai  tirer et ramener les cordages à bord lorsqu’ils  seront libres à l’autre bout.

Ils sont à peine partis que, dans  le noir qui entoure le bateau qui, lui, est éclairé, j’aperçois à droite,  sur le côté du bateau,  une masse plus claire, assez proche  5 à 6 mètres : la côte !  L’ancre a chassé  le bateau a abattu et  va aller cogner son flanc sur les rochers, voire se mettre au sec ; je bondis dans la timonerie, lance le moteur,  fonce de nouveau dehors à la barre, j’embraye  et donne un petit coup d’accélérateur en  virant  à gauche,  mais de  la même façon, très vite  à gauche  j’aperçois  la même menace.  Le bateau est au fond d’un V assez étroit, la marge de manœuvre est très faible. Il n’y a pas de place  pour virer  d’un côté ou de l’autre  et je ne peux pas avancer car les aussières ligotent l’arrière du bateau : Il faut que je le dégage.  Je ne vois rien,  mes   hommes sont perdus dans le noir,  je ne vois même pas une loupiotte à terre.  J’ignore  où ils en sont  de leur manœuvre mais les aussières  ne sont pas encore  libres.

Je fonce a l’arrière jusqu’au taquet sur lequel une des aussières est tournée (il faut dire qu’entre la barre du cockpit et les taquets d’amarrage , il y a quelques 5  mètres  à franchir). J’ai à peine le temps de lâcher un tour,  le bateau est de nouveau en travers,  je  me précipite à la barre  et  redresse, je fonce de nouveau à l’arrière  à l’autre aussière;  je n’ai pas le temps de  la libérer complètement qu’il me faut rebondir vers la barre.  je donne  un nouveau  coup d’accélérateur   pour redresser.

Le bateau  se remet dans  l’axe, face au vent et là  je sens qu’il avance .  Soulagement ! Les aussières, bien  qu’incomplètement dégagées  ne font  plus nœud et coulissent, libérant peu à peu le bateau .   Et maintenant ?  Je  le maintiens  comme cela en accélérant très doucement .

J’avance  à l’aveugle, gênée par le phare qui éclaire verticalement le pont, mais ayant  maintenant le bateau en main,  je scrute le noir  et me dirige très lentement vers la partie plus large de la crique.

Et l’ancre et la chaîne ?  J’ai du passer par-dessus et  les ai  peut être  tractées  un peu, mais il m’est totalement impossible, étant seule, d’aller à l’avant  pour  relever l’ancre  en abandonnant  le contrôle du bateau.  Je reste donc à la barre,  me contentant  de maintenir  Saint- Graal  face au vent,  en avançant le moins possible.

Mais qu’est-ce que je fous là ?  SEULE,  dans la nuit noire et le vent qui siffle,  à bord d’un mastodonte  de 20 mètres,  qui risque  le  naufrage !

Plus que la peur c’est la colère qui me saisit ! J’ai l’impression d’être  dans un mauvais cauchemar , mais non , c’est là , maintenant !

stgraal - nuit 01

Le temps me semble très long.

ENFIN !  J’entends la voix d’Yves.  Ils sont à bord, je n’ai même pas entendu le moteur du zodiac revenir sur mon  arrière !  Yves me dit : «Tu as rentré les aussières ?

« Non je les ai larguées, on allait à la côte ! »  

« Tu as bien fait, tu as sauvé le bateau » 

Je crois que c’était vrai.

Mais cela n’était pas fini !  Yves est à la barre mais il faut y voir clair, j’allume le radar, je le règle, Yves  peut en   voir l’écran à partir de la barre extérieure, cela va lui dessiner la côte de la baie  pour avancer.

Laurent et moi fonçons remonter la chaîne, Laurent dans le puits  à la ranger correctement, et moi nt à l’interrupteur.  La chaîne  remontée Yves  a  le champ libre  pour nous dégager de ce chaudron de sorcières.  Le bateau tangue déjà pas mal, nous sommes face aux vagues ; Laurent et moi,  en bons équipiers assurant la sécurité,  sommes  accroupis, agrippés,  et callés  dans le balcon avant qui plonge et remonte en nous gratifiant d’un douche à chaque plongée.   Nous nous efforçons  de saisir l’ancre (entendez attacher l’ancre à son support avec un cordage),  ce qui est essentiel en cas de mauvais temps  pour que l’ancre ne se déplace pas  et ne file pas à la mer en pleine navigation. (Oui ! c’est arrivé à des amis et cela a causé le naufrage de leur  bateau dont l’ancre a crevé la coque ! )   A chaque vague nous plongeons plus ou moins dans  l’eau ; Yves nous rappelle:

« Revenez ! Revenez ! Tant pis pour l’ancre ! » Mais nous ne sommes revenus vers l’arrière  que quand l’ancre a été saisie et l’écubier bien fermé ; Nous pouvions affronter une  tempête !

Ce ne fut  pas long de faire le demi-tour de l’ile, au moteur et au radar (Vive le radar !) et sommes allés nous mouiller  dans une crique qui,  à son tour était sous le vent, à l’opposé de la précédente.

Et tous à dormir jusqu’au  lendemain !

Le lendemain bien avancé, par un temps radieux et calme,  nous sommes retournés à la crique de la veille et avons récupéré nos  deux aussières, gentiment déposées au fond de l’eau et que personne n’avait repérées,  heureusement, car il y en avait pour une belle somme d’argent.

Mais tout de même,  saleté de méditerranée ! Avec des vents qui tournent de 180 degrés en une  demi-heure.      Yves,  le Breton,  n’est jamais arrivé à comprendre cette mer aussi fantasque !

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