Quelques jours après Mark débarquait à Port Mahon, aux Baléares, où nous l’avions embarqué à l’aller. Yves m’avait proposé de garder Mark jusqu’en Espagne ; mais j’étais bien amarinée et il ne nous restait plus qu’à rejoindre Rosas pour terminer la saison : cela semblait inutile de garder nnotre équipier d’autant que nous aurions du financer son voyage retour.
Port Mahon et Minorque m’ont toujours fascinée, c’est un port tout en longueur, remarquable abri un peu à la façon de Bonifaccio dans cette Minorque, tellement plate mais passionnante car elle comporte une multitude de vestiges préhistoriques originaux. La ville elle-même est marquée par la présence anglaise. Nous étions passés plusieurs fois à Minorque, déjà du temps de Kernevel. Cette fois-ci Nous nous y reposons 24h et nous baladons en ville, puis nous prenons la mer à la tombée de la nuit. Très vite la lune apparaît et nous naviguons sous voiles avec un petit vent porteur. Navigation idyllique !


Comme d’habitude, je prends le premier quart pour qu’Yves dorme tout son saoul et veille ensuite sans risque de s’endormir. S’étant éveillé spontanément, il prend le relais en avance vers 1 heure. Je m’enfonce dans un sommeil confiant. Tout à coup je suis réveillée par Yves : « Lève-toi, il faut réduire la voilure »
J’arrive sur le pont : c’est déjà l’enfer ! ça siffle dur mais la mer n’est pas encore formée, je n’avais pas été secouée et donc pas alertée.
Réduire la voilure sur Saint Graal en plein vent demande une dépense physique peu ordinaire !
Il faut descendre la voilure de la hauteur d’un ris, fixer le nouveau point arrière de la toile, remonter la voile pour quelle soit de nouveau bien tendue et finir en pliant la partie basse libérée et en l’attachant à l’aide des garcettes de ris, petits cordages qui existent à chaque ligne de ris de la voile ; puis on replace la voile correctement dans le vent pour remettre le bateau en marche ; ça c’est la théorie !
C’est sans compter sur le vent qui vous arrache tout cela des mains ; sa puissance énorme exercée sur la voile. Heureusement il y a notre brave support de bôme qui permet de la fixer pendant la manœuvre pour éviter son balancement car bien sûr ces manœuvres doivent se faire vent debout pour que la toile libérée de la poussée du vent puisse descende, le plus aisément possible, en la tirant vers le bas. Nous ne sommes que deux, si l’un est à la barre pour maintenir vent debout, l’autre doit se débrouiller tout seul pour descendre la voile de la hauteur suffisante pour prendre un ris. Nous bataillons pour réaliser cela pas à pas.
Une fois le point arrière de la voile saisi à la hauteur du premier ris, c’est déjà plus simple de plier la partie basse de la toile pour la fixer par des garcettes ; mais le poids conséquent de toile libérée sur laquelle le vent s’acharne, demande encore des efforts énormes pour contrôler, plier et fixer cette toile. Je donne le maximum en me disant qu’il faut qu’Yves conserve le maximum de ses forces si nous avions un nouveau ris à prendre. Quand nous rentrons à l’abri, je tombe littéralement dans le carré, vidée, en me disant : et maintenant si ça barde encore plus, qu’est-ce qu’on fait ?
Bien sûr dans le même temps, (une bonne demi-heure) pendant lequel nous avons pris ce ris, la mer a commencé à chahuter. Heureusement, nous sommes sous pilote automatique et pas obligés de barrer à l’extérieur. Notre route pour Rosas nous demande de naviguer au près. C’est-à-dire contre le vent et les vagues. Mais le temps monte, monte, le bateau tombe maintenant littéralement du sommet des vagues et claque dans l’eau, cela secoue terriblement les mâts. Si cela continue nous allons casser quelque chose.
Un autre malheureux petit bateau lutte aussi à un mille environ et nous voyons sa lumière blanche sauter et disparaître dans les vagues. D’une certaine façon c’est rassurant : nous ne sommes pas seuls au monde ! Mais je sais bien qu’il ne pourrait nous être d’aucun secours
Pour la première fois Yves a mis son harnais de sécurité, à ma demande et sans râler. Comme il sort régulièrement vérifier que les voiles portent bien, je n’ai pas envie de le perdre en mer, je serais incapable de le retrouver avec un temps pareil. En temps normal il m’aurait « enguirlandée » en me traitant de froussarde ; là il n’engage pas la discussion.
Au bout de quelques temps il devient évident que c’est trop dur pour le bateau.
Jeanine : « Nous devrions abattre pour aller nous mettre plus à l’abri de la côte »
Yves « Mais nous avons rendez vous avec Monique à Rosas »
Jeanine : « Ta sœur a suffisamment connaissance des aléas de la mer, avec ton père et toi, pour nous pardonner si nous arrivons en retard ! » Yves, ayant évalué nos capacités par rapport à ce gros temps, est pour une fois raisonnable et dit : « Ok ! On abat ». Enfin nous sommes plus confortables, un peu plus portés par les grosses vagues mais ne luttant plus contre elles, ni contre le vent.
Au petit matin, la mer est moins forte, en fait nous sommes déjà abrités, même de loin, par l’inclinaison sud-ouest de la côte catalane et les vagues ont moins de distance pour se former Nous faisons route vers Barcelone.
Port en vue, entrée, emplacement disponible, amarrage. Repos. Ouf ! Encore un rugissement du lion du golfe !
Dans l’après midi Yves dit : « Et si on allait au cinéma ?»
– Jeanine : « Mais c’est en Espagnol ? »
– Yves, sevré de cinéma et de télévison depuis 6 mois me répond : « Ca fait rien tu me traduiras »
Nous sommes amarrés tout près de la place Colomb et à deux pas d’avenues avec des cinémas. on est entrain de fermer le bateau, sur le quai un couple contemple le bateau et nous adresse la parole en exprimant son admiration pour le voilier. La conversation s’engage, ils sont Russes, lui parle très bien le français. Ils nous disent que dans leur pays, c’est impossible d’avoir un tel bateau ; ils sont charmants, nous les invitons à visiter, puis à un pot à bord. C’est très sympa et chaleureux. Comme nous avions été à Moscou, nous avions de quoi alimenter la conversation.
Il s’avère qu’ils sont danseurs au Bolshoi, lui Azari Plisetski, maitre de ballet, elle Valentina Leopukhina danseuse étoile. Ils sont en mission à Madrid pour conseiller les ballets espagnols et sont venus pour le week-end à Barcelone. Nous les invitons à venir naviguer avec nous à Rosas. C’est impossible pour eux, mais ils nous quittent visiblement heureux de cette rencontre et nous font un cadeau dont nous n’avons mesuré la splendeur que plus tard : deux places pour le ballet du soir-même au Gran theatro de Liceu.
Nous nous y rendons dans la soirée et avons la surprise de découvrir un lieu somptueux, d’être conduits dans une loge qui nous est réservée, dans le plus fameux ancien théâtre d’Espagne, pour savourer un ballet remarquable par une compagnie hollandaise, je crois. Pour ce ballet les Catalans avaient loué depuis six mois ! Quel cadeau somptueux et inoubliable !
Le récit de cet épisode m’a donné l’opportunité de retrouver sur Internet l’histoire de la vie assez extraordinaire d’ Azari Plisetski, qui semble toujours actif, il est resté longtemps à Cuba mais Benjamin a retrouvé sa trace actuelle à Genève. Peut-être lira-t-il ses lignes un jour ? En souvenir, Valentina et lui nous avaient laissé un mot et un dessin sur notre livre d’or, juste au dessous de celui de la marine américaine ! Hasard des rencontres !

Woow, quelle belle expérience et magnifique rencontre !! J’espère que vous les reverrez un jour !
Jolies photos en passant 🙂
Nat.