Parti de l’île de Wight, au sud de l’Angleterre, le skipper Yves Bourvéau, ancien directeur (bénévole ) de l’école de navigation du Touring Club de France, accompagné de quelques amis équipiers renouvelés aux différentes escales techniques , rejoint l’ile de Rhodes où il a rendez-vous avec ses premiers clients. Les aléas des premières navigation …..
La première grande croisière
Première partie : de Cowes à Palma de Majorque
Dimanche 15 mai 1983, 13h. Ils sont partis ! Je les vois s’éloigner et je les filme à partir d’une hauteur d l’île de Wight.
Avec Yves, il y a à bord Pierre Renevier, dentiste d’Yves et néanmoins un très grand ami, Frère de la côte ; Henri Payelle ami de Pierre et Frère de la Côte, lui aussi. Il est prévu qu’ils convoieront le bateau jusqu’aux Baléares. Les épouses de Pierre et d’Henri les rejoindront à Lisbonne pour la deuxième partie, réputée moins dure que la descente de l’Atlantique et la traversée du golfe de Gascogne.
Il y aussi Albert Rajau, notre ami qui s’est tellement investi dans la décoration du bateau et Eliane sa future épouse qui adore faire du bateau mais souffre du mal de mer !
Jean Pierre Lepelley, ingénieur au C.E.A. qui prend ses marques pendant quelques jours, avant de nous rejoindre en Grèce, pour une année sabbatique comme équipier et Patrick Massin un de ses amis.
Avec un tel équipage, le bateau a été rapidement toilé et est déjà en train de régater avec un autre très beau voilier pour sortir du Solent. Cette première étape doit les conduire à Guernesey.


Cependant tout n’était pas totalement fini à bord, il nous manquait du temps, encore un ou deux mois, mais Yves avait dû partir avec le bateau pour arriver à temps en Grèce pour les premiers charters pour lesquels nous nous étions engagés. Nous nous devions d’être crédibles et il n’était pas question de ne pas être au rendez-vous.
Moi je suis restée à terre pour finir de régler tout ce qui est à faire, rapatrier la voiture d’Yves qui avait été amenée pleine de matériaux à Cowes, la revendre en France, finir de vider notre appartement et installer ce que nous gardions de notre vie passée, chez mes parents qui nous avaient accordé deux pièces pour stocker nos souvenirs précieux ; contacter encore les agences de location pour les convaincre que nous serions au rendez-vous et prêts à travailler dès fin Juin et qu’ils nous envoient des clients . Nous avions épuisé nos réserves financières et n’avions dorénavant plus de revenus, à part les versements des Assedic à Yves d’indémnités pour son départ en préretraite, négocié avec ses employeurs (Oui, c’était une époque où l’on vous payait pour partir en retraite par anticipation !). Il me fallait aussi faire des achats de pièces de rechange qui seraient à confier aux équipiers devant rejoindre le bateau à Lisbonne ou à Majorque. Je devais aussi récupérer les honoraires des dernières expertises d’Yves, etc.
Sniff ! Je repartais toute seule, bien triste et abandonnée par cette joyeuse bande, et quittais Cowes que j’avais adoré. Pour me changer les idées je me concentrais à maitriser la conduite à gauche et les problèmes d’embarquement de la voiture dans le ferry !
Dans ces premières pages du livre de bord, je ne trouve nulle exultation d’Yves pour ce grand départ, aboutissement de cinq ans d’acharnement. Mais il est vrai qu’Yves n’était pas démonstratif. Mais quelles contraintes pour lui lorsqu’on lit la litanie de ses travaux forcés ; il ne se passait pas un jour sans qu’il ne soit obligé de finir, de fignoler ou réparer quelque chose à bord. Après le pot d’échappement qui avait lâché et failli nous asphyxier dans le trajet Saint–Valery/Cowes, c’est l’hélice qui alerte Yves : elle fait un bruit anormal, le moteur étant arrêté, elle semble desserrée : l’hélice entraine l’arbre, mais poussé en arrière. Yves fait essais de mise en marche du moteur pour tenter de bloquer l’hélice, sans succès. Heureusement le vent leur permet de marcher à la voile à 8/9 nœuds et d’arriver à Guernesey le lendemain avec des creux de 4/5 m et des déferlantes. (Pauvre Eliane !)

Ils font escale à Saint-Peter-Port. Yves décide d’examiner l’hélice. Le bateau est placé contre un quai et la marée descendante va le mettre au sec. On imagine les problèmes pour poser un bateau de 35 tonnes, à quille étroite et sans béquilles, sur un fond mal connu et pour la première fois ! Yves a une grande expérience de ce genre de manœuvres avec Kernevel, cependant ici, la surface portante de la quille du Saint-Graal est bien plus petite et le bateau 4 fois plus gros ! Il y a un équilibre avant/ arrière risqué et il faut bien saisir le bateau à quai avec tout un réseau d’amarres (y compris sur les mâts) pour éviter une bascule avant arrière ou latérale. Yves ne dit pas un mot des angoisses qu’il a du vivre au fur et à mesure que la marée descendait. Mais tout se passa bien.
Il descend dans la vase pour constater que l’écrou de l’arbre d’hélice est desserré mais encore freiné par la tôle pliée ? Je ne saurais expliquer ce problème technique mais il avait failli perdre l’hélice qu’il démonte et refixe correctement et solidement. Pendant que le bateau est au sec il en profite pour faire nettoyer la coque au karcher et faire passer une peinture antifowling (car le bateau ayant été à l’eau dans le canal depuis plus de 2 ans, la peinture d’origine a été altérée.)
D’autres problèmes s’avèrent : et il y a une lutte à mort entre le radar et satnav qui se perturbent l’un /l’autre et le satnav s’éteint tout le temps. (Le satnav était l’ancêtre des GPS et donnait la postion precise du bateau à chaque passage d’un satellite ).
Le congélateur, lui au contraire, tourne sans arrêt et risque de vider les batteries. Yves arrive à faire venir les installateurs à Guernesey pour des réparations et modifications.
A partir de ce moment aussi commença un combat sans merci entre Yves et la pompe à eau (entendez celle qui pompait l’eau des réservoirs d’eau douce pour la distribuer, après qu’elle ait été mise sous pression, aux robinets de lavabos et de la cuisine.)
Le loch ne marchait pas… d’origine ! Heureusement il y avait à bord le bon vieux loch à ficelle encore appelé « à bateau », que l’on met à l’eau manuellement. On verra que la suite n’est pas triste non plus
A Guernesey nos amis parisiens débarquent pour reprendre leurs activités. Par ailleurs, Corentin Bourvéau et son épouse, père et la mère d’Yves, arrivent de Bréhat pour voir le bateau et leur fils avant son départ pour plusieurs mois. Yves accuse une certaine tristesse à leur départ. Sans doute réalisait-il que ses parents étaient âgés et que tout pouvait arriver.

Le 19 mai à 21h30, Départ de Guernesey : ils reprennent la mer à trois : Pierre, Henri et Yves.
Le 22, ils prennent un bon coup de vent force 8, Yves et Pierre réduisent progressivement la voilure avec difficulté et portent leurs harnais (Fallait-il que ça barde ! Je n’ai pas vu souvent Yves mettre un harnais). Le temps devenant vraiment très dur, Yves doit réaliser que ses équipiers sont fatigués. Il a déjà navigué sur cette côte et se souvient d’un excellent refuge. Il conduit Saint-Graal à l’abri, « dans un trou », comme il dit : le petit port de Vivero, à l’Est de La Corogne. Ils entrent dans ce mouchoir de poche, de nuit, « au radar et au sondeur » : bel exploit. Ils mouillent à 6h du matin, ils vont dormir jusqu’à 17 h45 et en se réveillant ils prennent à la fois « « déjeuner, thé, et dîner », dit Yves, sans plus d commentaires. L’escale n’était pas prévue et les retarde un peu mais, au moins, sont-ils reposés. Car malgré qu’ils soient bons marins tous les trois , ce sont des citadins et ils n’ont pas l’entraînement de grands coureurs de mer.
Le 23 mai le coup de vent s’étant calmé, ils repartent. Étant au près serré, ils abaissent la dérive ; Yves constate « qu’elle cogne très fort quand elle est descendue à fond et ébranle tout le bateau, cela va mieux quand on la remonte un peu » C’était le coup d’envoi de la serie des problèmes avec la dérive.
Plus tard, avant le cap Finistère, avec vent ¾ arrière ils atteignent près de 11 nœuds ! Pendant ces journées ils se régalent à la voile et font de nombreux essais de réglages, avec et sans tangon sur la yankee. Par contre leurs nuits ne sont pas faciles avec beaucoup de pêcheurs rencontrés.

Ils arrivent à Lisbonne le 27 mai où Jacqueline Renevier et Mme Payelle embarquent avec, dans leur sacs, du matériel qu’Yves m’avait commandé par téléphone.
Les communications radiotéléphoniques par radio VHF avec les stations côtières avaient été nombreuses pendant ce temps. Notre indicatif « Mike, Alfa, Uniform, Kilo, Two » ( MAUK 2) qui nous avait été attribué, précédait notre « Sierra, Alfa, India, November, Tango, Golf, Roméo, Alfa, Alfa, Lima ». comme nous épelions « Saint-Graal » pour nous identifier. Yves m’avait entraînée et j’avais passé ma capacité de radiotéléphoniste. Yves avait des liaisons régulières avec les membres de la famille et me téléphonait régulièrement pendant ce trajet pour être tenu au courant des évènements nous concernant à terre ou pour donner des nouvelles.
A Lisbonne, le président du Club Nautique , aussi maire de Lisbonne, leur fait l’honneur de venir prendre un pot à bord. C’est un navigateur qui a une maison dans les îles Berlingue autour desquelles il va pêcher régulièrement.
Yves profite de l’escale pour faire une série de réparations des pompes. D’abord la fameuse pompe à eau douce Sylvain Bernard dont il draîne toutes les tuyauteries venant des réservoirs, ensuite il répare une fuite sur la pompe du groupe électrogène BMW, enfin remonte un tuyau sur la pompe Black et Decker utilisée pour pomper les fonds de la salle des machines. En prime il plonge avec bouteille pour aller vérifier l’hélice : il a le plaisir de trouver que tout va bien à la suite de sa réparation de Guernesey ! Une escale ordinaire ……
Ils repartent vers le sud. La lutte avec la pompe à eau continue ; elle se désamorce sans arrêt, Yves avait déjà nettoyé tout son circuit, surpris d’y trouver de détritus divers dont des écailles de peinture, mais il y a aussi des prises d’air intempestives.


Le 29 ils font une escale à VILAMOURA encore au Portugal.
Le 31 ils passent le cap Trafalgar et découvrent la côte d’Afrique. Enfin ils arrivent à Gibraltar.

La pompe a eau continue à faire des siennes Yves se bat avec elle et ne cède pas, mais par prudence, à Gibraltar, il achète deux pompes à eau, une à main et une à pied, en dépannage si la fameuse pompe électrique déclarait forfait !
Le 1 juin départ de Gibraltar « beaucoup de cargos dans les deux sens » ils sont maintenant en Méditerranée (photo)

La navigation autour de l’Espagne se poursuit et ils piquent dès que possible sur les Baléares .
Yves note « Jour faste ! La pompe à eau marche après une nuit à l’arrêt ! La reprise des joints à l’arrivée d’eau, faite hier matin y est peut-être pour quelque chose ! Ajusté le loch pour le diminuer de 10% car l’estime est sans arrêt en avant par rapport aux points du sat nav »
Deux jours après « remis l’enregistreur de distance du loch en route à coups de claques ! » Deux heures après « loch de distance bloqué ! »

Malgré les fantaisies du loch, ils sont arrivés avec beau temps, bon vent et après de belles parties de voile à Palma où Pierre, Henri et leurs épouses débarquent avec tristesse, non sans avoir passé quelques heures agréables au « Réal nautico de Palma », le prestigieux club nautique où le roi d’Espagne en personne avait son bateau.

En lisant les péripéties de cette première grande croisière dans le livre de bord scrupuleusement tenu pas Yves, je réalise que là commençait une terrible lutte, sourde et larvée, entre ce bateau et Yves, pour le maîtriser, le peaufiner, éviter ses révoltes qui se dévoilaient dans le refus des appareils à marcher correctement, pour réparer sans arrêt tout ce qui pouvait se casser ou être déficient et pour le rendre de plus en plus docile jour après jour !
En constatant cette bizarre évidence, j’ai considéré d’un autre œil la suite de notre vie, sur et avec le Saint-Graal et j’ai bien été obligée d’admettre qu’une sorte de malédiction nous a poursuivis, tout au long de cette aventure, malgré les images ensoleillées et radieuses qu’il en reste et que mes souvenirs ont sélectionnées.
Cette plongée dans le passé, pour alimenter ce site, me fait constater : Oui, le Saint- Graal avait quelque chose de maléfique et au final, c’est lui qui a gagné! On le verra à la fin de cette histoire.
Deuxième partie de Palma à Rhodes (A suivre)